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Introduction (Madame RAOULT Conseillère de l’Aide à la Jeunesse) :

Au nom du Conseil d’Arrondissement de l’Aide à la jeunesse de Huy, je vous salue tous. Merci de votre présence. J’espère qu’en fin de journée, vous serez satisfaits d’avoir passé ces quelques heures avec nous.

La journée d’aujourd’hui, s’inscrit dans le cadre des journées que nous organisons habituellement, tout le 1 an - 1,5 an. Certains d’entre vous en sont d’ailleurs des habitués. La dernière rencontre, se situant dans le même cadre a eu lieu au mois de mars 2010.

Aujourd’hui, la particularité de cette rencontre, c’est que la matinée est organisée par la commission du C.A.A.J. que nous appelons groupe « CROCHETS », je ne vous en rappellerai pas l’historique pour ne pas ennuyer ceux d’entre vous qui viennent régulièrement. Cette commission est chargée de lutter contre l’absentéisme et le décrochage scolaires dans le secondaire. Quant à l’après-midi, elle sera organisée par la commission « Aide Sociale – Aide à la Jeunesse » dont madame Maritza Ivanovic, ici présente, est Présidente et qui prendra donc le relais pour nous présenter le programme prévu après le repas.

Cette journée-ci fait aussi partie d’un processus entamé par le Conseil d’Arrondissement en créant ces différentes commissions, j’ai déjà évoqué la commission « Crochets » et la Commission « Aide Sociale », nous avons aussi une commission « Crochets bis » dont Madame Detaille est la Président et qui est plus particulièrement attachée à améliorer les relations Ecole – Parents –Services (ou intervenants sociaux) dans l’enseignement fondamental.

Et puis nous avons aussi la commission « parole des jeunes » présidée par Monsieur Fonsny qui s’occupe de savoir ce que veulent nous communiquer les jeunes. Ce groupe a récolté cette parole au travers de focus-groupes et de la réalisation d’un film.

Au Conseil d’Arrondissement de l’Aide à la Jeunes, nous avons choisit un thème de travail prioritaire pour l’année passé, cette année et l’an prochain. Il s’agit de la Précarité. Ce n’est pas très original, beaucoup de choses ont été faites un peu partout à ce sujet. Mais nous avons trouvé ce thème primordial car en tant qu’intervenants sociaux, nous pouvons chacun dire que cette précarité, nous la rencontrons tous de plus en plus souvent dans les problématiques diverses auxquelles nous sommes confrontés et dans des publics très variés. Elle peut en effet, revêtir plusieurs formes. Il y a bien entendu la pauvreté que nous pouvons qualifier de générationnelle, c’est-à-dire, celle qui concerne les personnes qui sont nées dans cet état, qui le vivent depuis leur naissance et qui reproduisent certaines attitudes. Je pense que Christine connait bien le sujet et va nous en parler. Mais il y a aussi de plus en plus, une précarité conjoncturelle qui s’installe chez les personnes suite à un évènement de la vie (une perte de travail, un divorce, le décès d’un conjoint,…). Il s’agit d’événements qui font que d’un coup, on bascule dans un état qui n’était pas celui qu’on avait connu jusqu’à présent. Il y a aussi, vraiment de plus en plus de gens qui sont dans un état de précarité qu’on pourrait qualifier de fragilité, instabilité qui fait que dans leur vie, on a le sentiment que tout pourrait basculer à tout moment. On parle d’ailleurs, beaucoup maintenant de ces gens qui travaillent mais qui n’ont pas de quoi vivre décemment et qui parfois n’ont pas de quoi se payer un logement, qui doivent se débrouiller mais qui pourtant ont un salaire.

Quand on parle de pauvreté ou de précarité, on ne parle pas uniquement de pauvreté financière. Il faut bien se dire que nous avons tous un capital économique mais aussi social, culturel, un capital de santé et un capital symbolique. Certains capitaux, peuvent compenser ceux qu’on a perdus à un certain moment et dans certaines circonstances mais ça ne peut pas toujours durer.

En tant qu’intervenante, je me suis posé quelques questions en me demandant ce qu’on pouvait trouver comme réponse. J’espère d’abord que cette journée répondra à cette question : « comment réaliser la situation réellement vécue par ceux qui s’adressent à nous ? » et ce, entre autre, grâce à Christine ici présente. Je crois qu’on ne s’en rend pas toujours compte quand on reçoit les personnes dans notre bureau, de ce qui se passe dans leur vie quotidienne et à leur domicile. Comment alors envisager une aide participative en concordance avec leur réalité ? On a tendance, de plus en plus, que ce soit au CPAS, au SAJ et dans toutes sortes de services à demander aux personnes d’être participantes, de coopérer, d’apporter des choses, de faire des démarches etc. En tant que Conseillère, je me demande de plus en plus ce que je peux raisonnablement demander à ces personnes sans avoir très bien conscience de leur situation.

Peut-on solliciter des personnes qui sont en état de survie ? Comment gérer des situations de précarité dans leur globalité ? Et sans que l’ensemble des services ne saucissonne les problèmes ? Le grand souci, c’est que parfois chacun ne voit que sa petite mission et son service et est focalisé sur ce que la personne ne fait pas en fonction des exigences du service qu’il représente. Bref, comment trouver le moyen d’aborder les choses et les situations dans leur globalité ?

Lors de notre dernière journée de réflexion du mois de mars, un atelier fut consacré à l’accès à l’enseignement des jeunes issus de familles précarisées. La problématique des frais scolaires y fut longuement évoquée. Ce qui y a été dit, c’est que le principe de la gratuité de l’enseignement est inscrit dans la constitution belge dans son article 24. Au niveau de la communauté française, le décret mission prévoit depuis 2001 qu’aucun minerval direct ou indirect ne peut être perçu. Mais des frais liés aux activités culturelles, sportives (dont la piscine) s’inscrivant dans le projet pédagogique que tout établissement se doit d’avoir ne sont pas considéré comme minerval, dans l’enseignement fondamental et secondaire.

A coté des frais qui sont directement exigés par l’école et pour lesquels il existe heureusement des limites légales raisonnables contraignantes (75 € en Communauté française). Il existe aussi une multitude de frais indirects, satellites, que les familles ne peuvent pas éviter sans que cela ne se traduise par des risques d’effets négatifs pour le parcours scolaire de leur enfant. Le groupe présent dans cet atelier a évoqué les frais liés :

  • à la mobilité ;
  • au matériel scolaire ;
  • aux activités extrascolaires (aux voyages, au théâtre, aux excursions) ;
  • aux activités parascolaires (tombola, fête de l’école accueil extrascolaire) ;
  • à la nécessité de plus en plus indispensable pour le suivi scolaire de posséder un ordinateur et un accès à internet ;
  • à la cantine ;
  • aux vêtements ;
  • à des choses comme les GSM, I-Pod, sans lesquels, il devient difficile de s’intégrer dans son groupe d’âge ;
  • aux services d’aide et spécialistes tels que les logopèdes et psychologues.

D’autres ont sans doute été oubliés mais on a essayé de pointer dans ce groupe de réflexion tout ce qui pouvait s’ajouter aux frais aux frais scolaires.

S’il est clair que ceux-ci ne relèvent pas, en tout cas pas directement, de la responsabilité de l’école, en tant que telle, celle-ci reste néanmoins le principal lieu de mixité sociale et donc le principal lieu ou les inégalités de ressources dans ces domaines se confrontent et se donnent à voir.

Trois constats importants ont été dégagés par le groupe de travail à l’égard des frais scolaires :

  1. Par différents liens de cause à effet, le manque de ressources financières produit à lui seul du décrochage scolaire ou une relégation vers de filières techniques et professionnelles ;
  2. Au-delà de la capacité financière proprement dite, se pose un problème plus insidieux d’intégration, de regard et de jugement ;
  3. Les écoles sont de plus en plus poussées à faire du marketing car elles sont confrontées à la nécessité d’affronter des missions nouvelles (informatique, technologie, communication, langues,…). Elles doivent aussi nécessairement proposer un projet d’établissement.

En conclusion, toutes ces évolutions démultiplient les exigences qui pèsent sur l’école et entrainent dans leur sillage de nouvelles formes d’inégalité, employabilité, désir d’apprendre, compétence de socialisation, capacité de concentration, autodiscipline, investissement etc.

Toutes ces évolutions qui pénètrent l’école et affectent sa capacité à jouer son rôle d’enseignement, de promotion sociale et de mixité.

S’il est vrai que ces nouveaux risques ne concernent pas exclusivement les plus pauvres, il est néanmoins évident que la pauvreté du milieu familiale ne constitue pas un environnement favorable pour y résister surtout lorsqu’elle ne se résume pas à un problème de capital économique mais qu’elle recouvre un déficit dans une multitude de capitaux (humain, social, symbolique, etc.) et qu’elle se traduit par des fossés important en termes d’aptitudes et de connaissances.

Pour les deux dernières années qu’il nous reste à vivre avec la composition actuelle du CAAJ de Huy, nous avons pris la décision de ne pas nous arrêter aux constats qui ont été faits lors de cette journée mais d’essayer de passer à l’action. Nous avons donc décidé d’entamer une recherche-action visant à trouver des moyens permettant de réduire les frais scolaires ou de trouver des aides relatives aux dépenses qui ont été évoquées précédemment. Cette recherche-action sera menée par l’AMO « La Teignouse ». Ce projet bénéficie d’un budget de prévention générale. En effet, nous avons consacré la majorité de celui-ci à ce projet et ce pour les deux années à venir. Nous avons aussi eu la chance d’obtenir un subside du Fonds Houtman qui vient compléter le budget de PG. C’est la somme de ces deux enveloppes qui nous a permis d’engager une chercheuse en la personne de Madame Stéphanie Tomsen ici présente.

Ce projet intitulé « C.L.E.S. » vous sera expliqué en fin de matinée. Il implique des écoles qui vont être « pilotes » et aussi les CPAS des communes de ces écoles.

On peut dire que cette journée d’aujourd’hui est en quelque sorte le lancement de cette action qui devrait permettre une modification des pratiques dans notre arrondissement judiciaire. Nous espérons évidement grâce à ce projet, trouver des moyens qui pourraient être généralisés par la suite sur l’ensemble de notre territoire judiciaire.

Au terme de ces deux années de recherche-action, vous serez invités à une journée qui nous permettra de vous faire part des résultats obtenus. Le souhait du Conseil d’Arrondissement de l’Aide à la Jeunesse est d’arriver au terme de ces deux ans à pouvoir rassembler et fondre les résultats des travaux des différentes commissions et de pouvoir en faire un tout qui ferait office de bouquet ou de résultat final

Pour nous inspirer dans cette vaste entreprise, nous avons fait appel à deux spécialistes qui interviendront aujourd’hui. Mr Bruno Humbeek (psychopédagogue, chercheur,…) sera présent cet après-midi. Et maintenant, nous allons entendre Madame Christine Mahy (Secrétaire Générale du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté et Présidente du Réseau Belge de Lutte contre la Pauvreté).

Madame Mahy a travaillé pendant 14 ans au centre culturel de Marche dont 7 en tant que Directrice. Elle a donc toujours travaillé dans une perspective culturelle et globale d’éducation permanente car elle a toujours eu la certitude que culture et social sont indissociables. En 1995, la Chenille se dissout et donne naissance à 2 ASBL : l’AMO « Mic’Ado » située à Marche et « le Miroir Vagabond » à Hotton. Dans son engagement professionnel, madame Mahy a toujours mis en avant les pratiques collectives et de participation. Elle est convaincue qu’il est indispensable de faire évoluer la société vers plus d’équité pour enrayer le phénomène de pauvreté et en faire une société beaucoup plus collective. Consciente de l’enrichissement des différences et de l’importance de la prise en compte des priorités, Madame Mahy s’est investi énormément dans l’asbl « Centre de Médiation de Gens du Voyage en Wallonie » et dans le « Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté ».

 

Intervention de Christine Mahy.

Merci pour la présentation et l’introduction, je dois dire qu’il y a un caractère agréable à de telles rencontres même si pour vous, cette nouvelle aventure va vous donner du boulot. En effet, en ce qui me concerne, ça fait toujours du bien de voir que en différents endroits de Wallonie, il y a, des individus et des professionnels qui se mobilisent et qui croient à l’importance de se regrouper, pour tenter d’agir sur les éléments fondamentaux qui créent les discriminations dans notre société. Je trouve que c’est important de se situer par rapport à la scolarité aujourd’hui parce que c’est certainement une clé de voute de la réussite qui permettrait d’aller vers plus équités, de réduire les inégalités et de donner sa place à chacun.

Aujourd’hui, différents acteurs se posent cette question et vous en êtes et vous n’êtes pas les seuls. C’est intéressant de pouvoir être en réseau et en convergence avec les différents acteurs qui s’intéressent à l’école et à ce qu’elle produit comme exclusion sans jeter la pierre à aucune des parties. Le constat d’aujourd’hui, est une réalité. Dans notre pays, la communauté française, qui sur l’ensemble de l’Europe, est une des communautés qui consacre le plus de moyens financier à l’école, est aussi une communauté qui produit et construit beaucoup d’exclusion et elle participe à la création de l’écart entre les plus forts et les plus faibles. C’est quand même relativement paradoxal. On peut se poser des questions, si on part de l’idée que, avant tout, tout ce qui pourra nourrir le fait que les gens sortent de la pauvreté, c’est un accès au savoir, à la curiosité, à la débrouillardise à la qualité à établir des relations mais aussi un accès au fait que on fasse confiance aux gens, qu’on considère qu’ils sont responsables, qu’on considère qu’ils sont parties prenantes de la société. A partir du moment où l’école n’arrive pas à jouer ce rôle là, on arrivera jamais à enrayer le mécanisme fondamentaux de pauvretés, même si on sait qu’évidement les conditions matérielles de vies sont majeures, les conditions matérielles de vies à elles seules ne suffisent pas, si l’accès à la connaissance, aux relations, à cette confiance en soi ne se développe pas de façon significative. Par contre, la privation matérielle peut empêcher complètement l’entrée de quelqu’un dans un mécanisme de formation.

Pour information, pendant que vous allez faire ce travail, la ligue des familles relance une enquête au mois de septembre prochain qui portera sur le coût des frais inhérents de la rentrée scolaire. Il pourrait être intéressant pour un groupe comme le vôtre de les contacter. Cette étude va être faite de façon globale puisqu’ils sont aussi sur le combat de la gratuité scolaire. Notons également dans ce cadre là qu’un certain nombre d’acteurs fédérateurs au niveau de la communauté française dont le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, sont en train de se rassembler pour mener un travail alors de revendications. Au-delà de la revendication, de propositions concrètes seront formulées. Elles seront liées :

- à la gratuité dans l’enseignement ;

- aux conflits de formations des futurs enseignants dans le cadre de la formation initiales des enseignants ;

- à un travail de dénonciations de tous les systèmes de privatisation de l’école aujourd’hui,

c’est-à-dire tout l’enseignement après l’école que certains peuvent se payer afin d’être certains de pouvoir réussir. L’école, elle-même, en son sein, ne donne plus les éléments et le cadre nécessaire à la réussite scolaire.

Donc voilà des enjeux sur lesquelles nous travaillons.

Il donc y a des acteurs qui travaillent un peu partout, et qui comme vous, n’en reste plus au stade de la dénonciation. Celle-ci qui est nécessaire, car elle permet d’identifier les problèmes qui se posent et c’est très important mais à un moment donné, il faut pouvoir aussi mettre sur la table les réponses qu’on peut y apporter. Ces réponses peuvent être proposées soit par bassin territoriale mais aussi au plan de la communauté française de façon générale.

Le Réseau Wallon ouvre également un chantier avec d’autres acteurs sur un élément de la gratuité scolaire qui montre à quel point notre société ne va pas bien aujourd’hui en termes d’appauvrissement des populations et en terme discriminatoire. Il s’agit de développer un travail chiffré pour entamer le combat que l’on va mener sur le sujet de la gratuité d’un repas correct dans toutes les écoles partout en communauté française. Ce repas enlèverait de cette « discrimination » qui peut être porté sur les enfants en fonction de ce qu’ils ont dans leur mallette pour manger à midi. C’est aussi un regard de non discrimination par rapport aux parents en situation précaire qui vont quand même envoyer leur enfant au repas de midi en sachant bien qu’ils ne pourront pas le payer mais préfère que leur enfant mange même si cela leur occasionne des problèmes ensuite en étant mal considérés comme mauvais payeurs entre autre. Il y a un travail statistique (en principe avec l’IWEPS) à entreprendre, ce qui permettrait des propositions concrètes.

Il y a différents chantiers pour le moment qui ont du sens et je trouvais que c’était peut-être intéressant de vous dire que je suis au courant de vos actions qui à mon avis ont beaucoup d’importance. Il serait à mon sens intéressant que ceux d’entre vous qui ont des connexions avec les autres lieux où ces sujets sont envisager face le lien afin que tout ce qui entrepris en la matière soit porté à la connaissance de tous.

Pour ma part, je vais replacer le sujet qui nous occupe dans un contexte plus général et essayer de vous dire de par la rencontre sur le terrain et les associations un peu partout en Wallonie, quel est le sentiment des gens qui vivent aujourd’hui dans la pauvreté, ou qui flirtent avec la pauvreté. Je vais essayer de vous faire le reflet de la parole de ceux qui sont dedans, de ceux qui n’ont pas beaucoup d’autres choix que d’essayer de tenir pour traverser la vie, vaille que vaille en se débrouillant avec les atouts dont ils disposent.

Pour introduire les choses, je vous invite à avoir un regard décalé par rapport aux prismes habituels qui veut qu’on pose un regard professionnel sur les situations. J’ai envie de vous proposer de tenter une inversion et de partir du principe que les populations qui vivent la pauvreté, la précarité ou qui tombent dedans, que ces familles, ces personnes souhaite avoir une belle vie, et qui toutes font ce qu’elles peuvent avec ce dont elles disposent pour essayer d’avoir la meilleure vie possible ou la moins mauvaise vie possible. Ne les regardons pas en pensant d’abord à leurs difficultés, leurs faiblesses. Pensons qu’elles tentent de faire comme elles peuvent c’est-à-dire le mieux possible avec les ressources dont elles disposent dans les conditions de vie ou elles sont et dans l’adversité sociétale dans laquelle on est aujourd’hui et à laquelle il faut faire face.

J’ai une conviction qui est celle que personne ne se dit un jour au matin quand il se lève : «  Pourvu qu’on me coupe l’électricité, pourvu que mon proprio reprenne la maison, pourvu que mon gosse rate à l’école, pourvu que je sois mal vu par l’enseignant, je vais essayer m’habiller le plus mal possible pour qu’on jette un regard déconsidérant sur moi. »  Je pense que tout le monde, quelques soient les ressources qui sont les siennes, tente de faire de son mieux dans sa vie familiale et dans la relation qu’il a avec les institutions qu’il fréquente. Mais pour ça, il faut avoir accès à un certain nombre de richesses, pas que matérielles, il faut être doté d’un certain capital financier, avoir un revenu, des ressources suffisantes pour assumer les choses, avoir accès à un logement qui permettra une certaine sérénité en tout cas, pouvoir payer de l’énergie, pouvoir se déplacer, savoir se déplacer,…

Il faut donc des ressources financières mais aussi des ressources immatérielles, pour avoir le droit à l’accès à la connaissance, le droit d’être considéré comme quelqu’un qui peut être nourri de l’intérieur par la société et la collectivité. Le monde de l’enseignement le monde de l’animation, le monde de la culture, le monde du sport,… tout ces choses font partie du bagage qui nourrit une personne dans sa manière d’être en relation avec lui-même, avec sa famille, avec l’environnement, avec la collectivité. Et pour tout ça il faut aussi pouvoir avoir accès à un certain nombre de richesses immatérielles.

Quand on parle de richesses naturelles je voulais aussi parler d’environnement. Comment vit-on vit dans son environnement ? Pourquoi est ce que les cités d’habitations sociales ont été pendant des années et le sont encore, la concentration d’un maximum d’habitants sur un minimum de place ? On se dit que les gens à faible revenu doivent occuper le moins de territoire possible, en étant le plus nombreux possible sur ce peu de territoire. A l’inverse, les familles aisées peuvent « s’étaler » partout à leur convenance dans des maisons quatre façades. On peut aussi se poser des questions telles que : « Qu’est ce qui fait que les lignes d’aviations passent le plus souvent et en grand nombre au-dessus des quartiers les plus défavorisés dans notre pays ? Qu’est ce qui fait que ce sont les gens des milieux les plus aisés qui se plaignent le plus ? Il est évident que dans les milieux le moins aisés, on a des difficultés à positionner par rapport ces problèmes d’habitat puisqu’on est déjà bien content d’être acceptés quelque part et de trouver un logement qu’on pourra assumer. Donc, on est dans une société qui est organisée de telle façon qu’il y a une série de personnes qui sont privées d’un accès aux richesses matérielles, immatérielles et naturelles. La pauvreté n’est rien d’autre qu’une privation, ce n’est pas quelque chose qu’on souhaite et certainement pas non plus un choix ou un état de naissance. Et quand les privation se cumulent, c’est-à dire quand on est privé d’un certain nombre de moyens matériels, quand on a trop peu de revenu, quand on n’a plus de maison, quand c’est difficile de payer l’énergie, quand c’est difficile de payer la rentrée des classes, quand c’est difficile de payer le théâtre de l’enfant qui va à l’école les repas scolaires… la situation familiale est alors très compliquée.

Pour certaines familles, il faut aussi ajouter à cet état de privation, un accès limité ou nul aux connaissances. Cela ne veut pas dire que les gens de ce familles soient idiots, mais ça veut dire éventuellement qu’ils n’ont pas eu les clés ou les portes ouvertes pour pouvoir aller s’alimenter de suffisamment d’outils, pour être un acteur considéré dans la société, pour être un acteur qui n’a pas peur d’avoir des relations avec la société. Au lieu de cela, ils se retrouvent d’entrée de jeu comme étant un acteur qui ne va pas être déconsidéré et qui en plus doit s’enfermer sur un petit territoire à l’espace limité. Par rapport à l’école, je pense qu’un des éléments qui joue très fort, c’est la considération, la déconsidération ou le manque de compréhension qu’il peut y avoir de la part des professionnels de l’enseignement. Je ne leur jette pas la pierre…

Il y a aussi des différences de fonctionnement, une diversité parentale et j’ai la conviction que ces parents aient un potentiel avec lequel ils font le mieux possible. Beaucoup de familles sont considérées comme déficientes face à l’école (parfois ils arrivent en retard, parfois il n’y a pas ce qu’il faut dans la mallette, …). Beaucoup de familles auront déjà fait les efforts maximum pour que l’enfant puisse déjà se présenter à l’école de cette façon là ou au mieux. C’est le cas par exemple d’une maman vivant en caravane. « Moi j’ai vécu l’exclusion me disait-elle, parce que quand j’allais à l’école, je suis toujours arrivée en retard et j’étais toujours avec des vêtements sales. Et donc mon objectif pour que mes enfants ne soient pas exclus de l’école : ce sera de toujours les conduire à l’heure et malgré ma petite caravane avec 4 enfants dedans et une machine à lessiver, qu’ils soient toujours propres et impeccables ». Elle avait retenu ça comme prisme. Son défi était de conduire ses enfants à l’école à pied, en habitant loin de celle-ci, d’être à l’heure, toujours propres et impeccables. Elle me disait que si elle réussissait déjà à accomplir ça, elle tiendrait ses enfants éloignés de deux éléments d’exclusion. Après, on sait qu’il y en a beaucoup d’autres derrière des éléments d’exclusions qui peuvent surgir. Et pourtant cet effort là était construit.

Je peux aussi vous parler d’une autre maman qui me dit : « Christine, je ne savais pas qu’un jour je deviendrais secrétaire de ma propre vie. » Vivant seule avec 5 enfants, elle me dit : « Si tu savais le nombre de démarches administratives que je dois faire en permanence, si je veux que mes 5 enfants puissent bénéficier tout simplement de ce dont tout le monde peut bénéficier. Il faut toujours que je me justifie de ne pas avoir assez d’argent, et donc que j’essaye toujours d’avoir ce qu’il faut pour remplir l’obligation auxquelles je dois faire face. Je dois donc compléter des papiers pour les repas, pour aller vacance, aller au CPAS etc. » Et elle poursuit : « Moi qui déteste toute la partie administrative d’une vie et bien, je suis devenue secrétaire de ma propre vie. Je suis en action pour justifier mon état de précarité de façon à essayer que mes enfants aient le maximum de ce à quoi ils peuvent avoir accès. C’est préoccupant parce que ça veut dire que l’énergie de cette maman est largement mangée par ces démarches alors quelle est la disponibilité qu’elle peut donner au reste de la vie familiale. => Justifications permanentes et grosses contraintes pour pouvoir obtenir ce qu’elle souhaite. Cette même maman me disait cette année scolaire ci : « C’est très fréquent, que j’évite de payer mon loyer du mois de septembre et une partie de celui d’octobre pour pouvoir assumer les abonnements scolaires, et l’entièreté des frais liés à la rentrée scolaire. » ajoutant : « Tu sais Christine, pendant ces périodes quand je sors, je longe les murs pour ne pas rencontrer le propriétaire. Ce n’est même par peur qu’il me tape dessus mais parce que j’en ai marre de déballer une fois encore et justifier pourquoi j’aurai du retard dans le paiement du loyer. » C’est dans ce contexte qu’un mois plus tard, sa fille ainée, qui est en Rétho, rentre avec un papier d’inscription à un voyage de classe à l’étranger. Celui-ci coute 250 euros. Sa fille est contente à l’idée de partir évidemment. Elle n’est bien entendu pas tout à fait inconsciente évidement des conditions de vie de la famille. La maman m’a dit : « ma première réaction à été de lui dire « mince comment est-ce qu’on va faire ? Je viens juste d’assumer la rentrée, je vais déjà devoir combler le trou des loyers pendant x mois pour récupérer et il y a ça qui tombe en plus, comment est ce que je vais faire face à ça ? Et donc, elle était un peu atterrée. Elle ajoute ensuite : « Le pire dans cette situation c’est bien sûr qu’il faut trouver les 250 euros, mais aussi et je m’en veux après coup, c’est de ne pas me réjouir avec ma fille qu’elle fasse ce voyage avec les élèves de sa classe. Je lui ai renvoyé qu’elle était un ennui avec son truc, qu’elle me pause un problème, qu’elle est un problème parce qu’elle me coute de l’argent. Et ça, c’est insupportable.

Il faut entendre que quand des familles doivent vivre à l’interne ce genre de tensions avec la plus ou moins grande conscience qu’ils ont de la situation. La personne que je viens d’évoquer est une personne qui sait prendre du recul, qui sait mettre des mots là-dessus, qui fait partie d’un groupe à l’intérieur de différentes associations, elle sait mettre des mots sur ses ressentis. Mais, il y a une multitude de familles qui vivent exactement la même chose, et qui ne savent pas s’exprimer de la sorte et restent isolées. Et que font-ils ? Ils retournent la violence sur eux, sur la famille, sur l’école sur la société parce qu’elle sorte. Quand je parle de violence, celle-ci peut être verbale tout simplement mais il faut faire quelque chose de cette espèce de pression injuste qui s’accumule.

Les réactions des intervenants extérieurs sont en général du genre : Mais vous pourriez quand même faire c- ou ça, quel effort avez-vous fait ? Comment est-ce que vous ne vous organisez pas mieux ? Qu’est ce qui fait que vous n’avez pas d’argent ? Il faudrait quand même aller en médiation. Cette pression ressentie per les familles est massive. Je ne dis pas que certains éléments soient inutiles évidement mais la pression elle est extrêmement forte. Et je pense que pour s’en rendre compte, il suffit de penser à nos réalités de vie personnelle. Quand on traverse d’importantes difficultés, n’avons-nous pas besoin parfois de nous poser, de prendre du temps et du recul (par rapport au travail,…) d’espérer avoir une personne à laquelle nous pourrons aller tout confier parce qu’on à besoin de vider le sac sans se justifié ou être jugé. Le fait d’avoir de la paix dans ces moments là, de pouvoir se dire qu’on prend huit jours pour réfléchir et se reposer, pourvoir bénéficier d’une soupape. Certaines familles n’ont pas la possibilité d’avoir ce genre de soupapes qui leur permettrait de tenir le coup.

En fait ces familles souhaitent, juste être des êtres humains qui traversent simplement la vie et donc être plus que juste des gestionnaires d’un comptage matériel. Est-ce qu’il est humain et honnête que l’inventivité des gens et le potentiel qu’ils ont, leur créativité soit réduit à devoir traverser la vie uniquement sur le calcul matériel au quotidien. C’est dangereux quand les gens sont amenés à recroqueviller leur potentiel, leur créativité sur l’aspect financier de leur existence, parce qu’on risque de se vider de tout autre potentiel et de s’écarte du reste de la société. Il y a un gros risque de ne plus avoir la possibilité de pouvoir être un acteur de sa vie qui se réalise autrement. Il n’est pas étonnant qu’un certain nombre de comportements de désaffiliations se manifeste dans ce cadre la sous de diverses formes. J’ai l’impression en ce qui me concerne qu’on est dans une époque ou la société n’a jamais été aussi injuste avec les gens. Bien sûr, il y a de l’évolution entre le moyen âge et aujourd’hui. Mais on est quand même dans une époque vraiment paradoxale ou on donne cette impression aux gens qu’ils ont accès à tout que les droits sont rencontrés alors que dans le fond, les outils de l’accès aux droits et de l’accès à tout n’existe pas. Ce sont toujours les mêmes personnes qui, par conjoncture paradoxale, doivent se mettre le plus en conformité, le plus en difficultés, sont le plus contrôlés, le plus regardés,…

Aujourd’hui, on est dans une crise majeure du logement. Pour moi et le Réseaux Wallon les deux clés de voutes de la lutte contre la pauvreté, sont le logement, l’enseignement (et bien sur le revenu et donc emploi). Cette crise du logement dans laquelle on se trouve conduit les gens en situation de précarité à devoir trouver des solutions eux-mêmes à ce problème puisque nous sommes en déficit de logement sociaux public, que les logements privés extrêmement chers ou les conditions sont douteuses (insalubrité,…).

De toute façon, on sait qu’il y a des listes d’attentes énormes pour avoir accès aux logements sociaux et que de plus, même quand les gens sont logés, l’énergie et les charges sont devenus aujourd’hui des éléments d’endettement. C’est même de plus en plus le cas pour des personne se trouvant dans une situation « moyenne ». Car pour peu qu’une des deux personnes dans un couple perde son emploi, leur situation devient instable. Imaginons aussi que je sois locataire, que mon propriétaire vende l’immeuble où j’habite et qu’en même temps je perde mon emploi. Evidemment, trouver à se reloger avec un loyer égal est très difficile et sans emploi, c’est difficile de payer un loyer plus cher. Preuve qu’on peut très vite être en difficulté. C’est une réalité qui atteint tout le monde aujourd’hui, du moins en tout cas une partie de classes moyennes et les gens les plus précarisés. Alors que font les gens en situation difficile ? Ils se débrouillent en acceptant squat, caravane dans un parc résidentiel, logements insalubres,… Evidement on constate qu’il y a de plus en plus de marchands de sommeil et de « prédateurs » qui trouveront la manière de faire de l’argent sur le dos des plus faibles. Et puis, on s’expose ainsi, à l’illégalité et aux sanctions des pouvoirs publics qui vont vous dire de partir parce que vous ne pouvez pas être là. Il y a les situations de tolérance, il y a des plans et tout ce qu’on veut mais enfin dans l’absolu, on vous dit  « vous êtes en défaut d’être à l’endroit là ou vous êtes ».

C’est assez paradoxale car dans ces situations l’état continue à contrôler les gens sur base des lois qui existent et permette de les expulser de leur squat, caravane…, mais il y a aussi des lois concernant le logement et celle-là ne sont pas appliquées faute des logements en quantités nécessaire et de moyens. Les gens sont donc sanctionnés pour quelque chose qui n’existe plus en suffisance. C’est complètement anormal ! On met les gens dans une situation d’injonction paradoxale et puis on s’étonne après que la relation a la société ne va plus.

Même chose avec l’enseignement, l’enseignement devrait être obligatoire gratuit selon l’article de la constitution, et on constate que celui-ci est extrêmement couteux. N’est-ce pas extrêmement paradoxal de dire l’enseignement obligatoire alors qu’il est extrêmement couteux ? Les gens n’ont qu’à se débrouiller avec ces deux réalités et assumer les frais que ça engendre. Cet état de fait constitue un gros obstacle au fait d’être bien à l’école.

L’individualisation des droits qui n’existent pas chez nous. Ca donne des situations assez invraisemblables. Par exemple, prenons le cas de trois jeunes étudiants qui viennent de terminer leurs études et qui décident de vivre en cohabitation estimant le coût de la vie trop élevé. Si ces trois jeunes ont un emploi, pas de problèmes ils auront trois salaires, personne ne va venir leur chercher un morceau de celui-ci en prétendant qu’ils ont trop d’argent pour trois et qu’ils doivent en redonner une partie à la collectivité. Par contre prenez les trois mêmes jeunes et changer leur situation (deux chômeurs et un qui travaille), il va y avoir deux cohabitants qui seront déjà complètements piégés au début de leur vie sur le plan matériel dans la vie donc, discrimination, inégalités majeures. Il s’agit de nouveau, d’une injonction paradoxale, on n’individualise pas les droits, les revenus légaux de remplacement ne sont pas suffisants pour se projeter légitimement dans la vie compte tenu du coût de celle-ci. C’est un gros handicap pour les personnes confrontées à ces situations. Par contre, on sanctionnera les gens s’ils « jouent avec des boites aux lettres ». Et pourtant, il y a des gens qui doivent bien jouer avec des boites aux lettres parce que c’est la meilleure manière de s’en sortir. Quand j’ai vent de telles situations, je dis aux gens : « Taisez-vous, ne me dites rien. » Il m’arrive de faire semblant que je n’ai pas entendu. Ça veut dire que c’est gravissime, ça veut dire que les travailleurs eux-mêmes sont pris dans le paradoxe de ne plus savoir à qui il doive être fidèle, aux règles institutionnelles ou au fait de voir des gens qui s’en tirent comme ils peuvent à vivre et à survivre.

Dans ce contexte, je pense qu’on n’a jamais été dans une époque aussi violente. D’autant plus que à ces règles là, s’ajoute le discours traditionnel qui existe depuis la marche blanche. Laver plus blanc que blanc, tout doit être pur aujourd’hui, sans faille, sans erreur,… Il faut réussi du premier coup, sans faire des pas en avant et puis en arrière, on ne doit plus commettre de fautes. Il faut faire un trajet lumière et quand on commet une faute et qu’il y a réparation, on voit des gens qui se dressent en réclamant la loi du talion en disant que la justice ne doit pas être faite de la même manière pour tout le monde car il y aurait des personnes plus mauvaises que d’autres. En matière de pauvreté c’est la même chose on est dans une époque aujourd’hui où il y a le bon pauvre et le mauvais pauvre. Le bon pauvre qui est collaborant, qui ne va pas être endetté, qui va bien vivre en suivant les normes, qui rendra bien des comptes, qui sera docile qui ne remettra pas en question le service en face duquel il est, qui sera moins rebelle,… Le mauvais pauvre quant à lui va être rebelle, ne va pas suivre les lignes de conduites, se fâchera,… Et pourtant parfois, j’ai envie de dire que le rebelle est parfois celui qui à la tête au dessus de l’eau et est en train de se battre dans la vie pour essayer de s’en sortir.

Je constate de plus que parfois, mais il ne faut pas faire de généralité, des personnes qui sont être dans un logement social sont rendu passives par la manière dont l’organisation de l’aide sociale est mise en œuvre. On s’étonnera après que ces gens ne peuvent plus être mobilisés ou mobilisable, et on développera des tas de plan d’animation, de cohésion sociale,… Je suis pour, j’y participe mais je pense que souvent on aura construit en amont toutes les conditions de la passivité et du silence et que les gens se disent : « faisons nous tout petit, écrasons-nous, c’est déjà bien ce qu’on a reçu. On est quand même des parias ». Il n’y a pas longtemps, j’ai rencontré une personne qui était désignée comme commissaire du gouvernement pour aller redresser une société de logement social en Wallonie. Je ne sais pas si vous savez mais moi, je ne connaissais pas bien le commissaire du Gouvernement, je ne savais pas jusqu’à quel point il avait du pouvoir. En fait, il a tout les pouvoirs, il est le conseil d’administration à lui tout seul. Il remplace toutes les sphères et il remet tout en ordre. Et ce monsieur me dit : « moi madame, j’ai eu deux règles quand j’ai commencé ma mission, la première est de dire puisque les gens habitent dans un logement social, c’est-à-dire un logement payé avec l’argent public, je ne transigerai jamais sur le fait que ils ne payent pas leur loyer.

La deuxième règle est que j’accepterai toujours un dernier recours et de recevoir même les gens pour qu’ils s’expliquent sur la situation. Il m’explique la situation suivante : « Une maman avec cent quarante euros de loyer arrive avec ses deux enfants. Selon lui, cette dame devrait payer son loyer puisque la collectivité accepte de consacrer de l’argent dans des logements pour qu’elle puisse y vivre. Les loyers ne sont pas trop chers, et donc, c’est normal qu’elle y contribue, le contraire serait, de son avis, inadmissible. Ce commissaire du gouvernement est offusqué car cette femme lui a rétorqué qu’elle n’avait que deux enfants, qu’elle-même avait eu une enfance très difficile et qu’elle a décidé que quand ses enfants lui demandaient quelque chose elle leur consacrait son budget pour qu’ils soient heureux. Et il me dit horrifié, vous vous rendez compte quelle mauvaise éducation. Et je lui ai répondu : « Vous savez à mon avis, avec les revenus qu’elle a de toute façon, il est difficile qu’elle leur offre vraiment beaucoup beaucoup de choses. On peut comprendre que cette femme considère ce logement comme un droit (comme un dû) et que son regard sur la société soit différent au regard de ce qu’elle a vécu.

Mais on peut aussi se pauser des questions concernant la vision de ce commissaire du Gouvernement, et sur le fait que celle-ci nous renvoie une image : il y aurait des gens dans notre société pour qui la collectivité offre une série de service (un logement social dans se cas-ci), et puisqu’on la collectivité met de l’argent pour que ça existe, les bénéficiaires de ces services sont redevables, et n’ont qu’à se tenir comme on à décidé qu’ils devaient se tenir.

A notre époque, je pense que pour un certain nombre de décideurs, pour un certain nombre d’acteurs organisateurs de la société, une partie de la collectivité profite et abuse des droits sociaux, tirant la société vers le bas. Mais comme on est quand même dans une société un peu civilisée, on a décidé qu’on allait pas les laisser crever dans des fossés, je suis volontairement provocante, donc on fait des logements sociaux, on met des services sociaux pour les encadrer,… mais on va quand même bien leur faire sentir que tout le monde paye pour ça. Bizarrerie de l’organisation de la société : En quoi des moyens consacrés à la vie collective seraient un poids quand les personnes sont moins utiles ? Surtout à partir du moment où on sait que la pauvreté, elle est générée par les politiques structurelles qui ne sont pas organisées au profit de tous. Le logement n’est pas conçu au profit de tous. Aujourd’hui, on est sur l’enjeu du développement durable et excusez-moi mais nous sommes en train de faire du capitalisme vert. Les années précédentes, il y a eu plein de primes à l’énergie, et j’ai des connaissances (des gens de la famille,…) qui ont largement puisé, les lois étaient faites pour ça, dans les primes énergies et qui aujourd’hui gagnent de l’argent avec ça entre autres avec les panneaux solaires en revendant l’énergie… Mais, regardons quand même la réalité en face, et constatons qu’on ne prête qu’aux riches. C’est ça la réalité. Aujourd’hui, notre enseignement produit de la discrimination. Comment est ce que ça se fait ? Comment est ce que le mal être des enseignements peut être entendu ? Moi, je peux l’entendre à partir du moment où en parallèle, les enseignants accepterons aussi d’entendre le malaise de la population qu’ils ont en face d’eux. Je pense que ce malaise est commun n’a pas la même origine et ne proviens pas partir des mêmes réalités. Il faut accepter ça. Quand on entend beaucoup à la radio : « La réalité de travail des enseignants est difficile parce qu’ils se trouvent devant de plus en plus d’enfants qui leur profèrent des d’insultes, des parents qui démissionne,… ». Moi, je ne pense pas que les parents démissionnent, je continue à penser que les parents font comme ils peuvent. Je pense qu’il faut que nous changions notre regard sur le sujet et que nous ne nions pas les difficultés. Je n’ai pas dit que les enseignants n’étaient pas en difficulté, je pense qu’il y a une crise de l’enseignement qui à mon avis, n’est pas financière mais porte plutôt sur le fond de la structuration de l’enseignement.

Comment se fait-il qu’on en soit toujours à obliger les enfants à passer la journée à leur pupitre et à effectuer majoritairement du travail intellectuel et cérébral quand nombres de pays Européens ont fait la preuve qu’une partie de la journée consacrée à du sport ou des activités culturelles est très bénéfique. Qu’est ce qui fait qu’on exige des familles les moins biens nanties de devoir refaire des devoirs après journée avec les enfants ? Si les parents ne savent pas suivre, il faut que les écoles de devoirs aient les moyens de faire augmenter la réussite scolaire. Mais on peut aussi se poser la question : « En quoi est ce qu’on « corrige » le tir de ce qu’ils n’ont pas réussi pendant le temps de la journée ? » A ce sujet, jusqu’où va-t-on aller quand on voit le nombre de projets privés qui fleurissent pour donner cours payant après l’école ?

Je me pause quand même des questions quand je vois qu’un certain nombre d’enseignants sont porteurs de ce genre de projet. Ils font leur journée dans leur école et puis sont porteurs de systèmes privés après journée pour faire réussir des enfants. Ca ne tient pas la route. Ca veut dire en tout cas, qu’on est en train d’augmenter l’organisation sociétale pour faire que toujours les mêmes réussissent toujours plus, et les autres resteront au bord du chemin puisque les mieux lotis, qui auront les moyens payeront le nombre de cours de langues ou les maths qui seront nécessaires à la réussite de leur enfant. Qu’est ce qui fait que le coût de l’échec scolaire chez nous est extrêmement élevé en terme financier et quasi nul en termes de résultat scolaire ? Le redoublement de l’année scolaire en Communauté est extrêmement coûteux (selon les sites de l’enseignement de la Communauté Française) et est inopérant car on constate qu’il ne produit pas le résultat souhaité. Il produit de l’éloignement scolaire (perte des copains de classe, l’écartement,…) Alors qu’on pourrait investir cet argent dans la remédiation directe.

Il y a des questions vraiment clé à se poser mais pour ça, il faut arrêter de dire qu’il y a les bons parents qui ont compris le système de l’école qui viennent aux réunions scolaires,… et les mauvais parents qui ne veulent jamais faire d’efforts. Je pense tout simplement qu’il y a des parents qui ne savent plus comment opérationnaliser le peu d’outils qu’ils ont dans leur rapport aux institutions. Il y a quelque chose qui ne va plus, l’institution ne part pas de ce que les gens mettent sur la table comme d’un potentiel riche. Elle part la plus part du temps et de façon négative, de ce que les gens ne font pas comme ils le devraient. Cette façon de procéder développe un problème lié à la notion de confiance, aujourd’hui, tout le monde est suspect. Même vous, même les travailleurs, même les asbl, tout le monde est suspect aujourd’hui. Aujourd’hui quand on met quelque chose en œuvre, il va falloir être contrôlé parce que peut être qu’on ne va pas faire ce qu’on a dit qu’on ferait avec l’argent qu’on nous a donné. C’est souvent dans ces cas comme dans le reste, vous êtes un certain nombre du secteur de l’aide à la jeunesse, je suppose que vous êtes d’accord de dire que ce n’est pas parce qu’un jeune commet un crime à un endroit que tous les jeunes sont criminels. C’est la même chose tout simplement, ce n’est pas parce qu’un moment donné, il y a une dérive quelque part, qu’il faut généraliser les règles du contrôle lié à un état de suspicions. Les asbl sont soumises à ça aujourd’hui, on va d’avantage contrôlé plutôt que de s’intéresser au fond et aux objectifs du travail à faire. Et bien, c’est la même chose à titre individuel, il y a une suspicion renvoyée vers les gens que potentiellement ils seraient abuseur, fainéant, pas courageux, … On est tous pris la dedans, et on a tous vite tendance à plonger dans ce prisme là. Alors, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je n’ai pas dit qu’en méthodologie de travail avec des gens ou même dans notre propre vie, on n’a pas parfois besoin d’être secoué par la réalité dans laquelle on est par l’acte qu’on pose. Mais c’est autre chose d’être dans un travail d’interaction dans la confiance. On peut un moment donné avoir envie d’être bousculé, ou avoir besoin d’être bousculé, que d’être considéré à priori comme celui qui ferait tout de travers et devrait être bousculé. Et donc, il y a souvent ce regard sur les personnes qui connaissent la pauvreté, l’appauvrissement, la précarité,… celui qui veut dire : « Les gens n’ont quand même pas envie de travailler - On se laisse aller dans le confort des allocations - Ils font du noir à coté - tu penses bien qu’ils n’ont pas corrigé le tir,… »

Ben oui, à un moment donné, il peut arriver que des mécanismes s’installent et que les gens aient trouvé la manière d’établir un équilibre et une manière de vivre qui est de ce type là. Mais à priori, la grosse majorité des gens ne veulent pas ça, ne cherchent pas ça, ont envie d’être utile quelque part pour quelqu’un. A un moment donné, à force de disqualification et de se retrouver toujours face à l’échec, on se perd dans son système et on n’a plus de solution pour en sortir. C’est pour cette raison qu’il est important de sortir de cet état de suspicion et d’apriori. Pourquoi ne pas plutôt partir du potentiel des gens ? Vous savez, les personnes qui vivent la pauvreté, elles travaillent énormément. Ça peut paraître paradoxal parce qu’on se dit : « Mais non, elles ne travaillent pas actuellement, elles ne se lèvent même pas de leur lit par moment, est ce qu’elles font même à manger chaud tous les jours,… » 

Moi je pense que même dans ces conditions là, elles sont au travail de façon très importantes, parce que comme tout est compliqué, la moindre chose du quotidien est compliquée. Par exemple, si on ne sait pas payer le loyer ou l’électricité (ou assurances, taxes,…), si un enfant doit rentrer à l’école et qu’il faut payer le bus mais qu’on ne sait pas le faire,… Tout est compliqué quand il y a trop peu. Tout est compliqué et quand tout est compliqué, c’est fatiguant.

Ces situations sont usantes imaginez-vous si tous les jours au matin vous deviez vous lever en vous disant : « On est le 20, il va falloir que je trouve comment tirer sur tout ce qu’il y a dans le frigo pour arriver à tenir jusqu’au bout du mois. Ah ! En même temps, j’ai deux convocations au FOREM, il va falloir que je trouve quelqu’un pour m’y conduire ou que je trouve l’astuce pour payer le bus pour y aller. Par ailleurs, il y a le gamin qui est rentré de l’école, et rien ne va. Il y a eu une réunion des parents, je vais y aller, ou pas ? Comment vais-je être vu ? Saurais-je me déplacer ? » Il y a bien souvent tout une série de choses qui s’ajoutent les unes aux autres et qui font que vraiment tout est compliqué et la vie est extrêmement fatigante. Il y a donc énormément d’énergie qui est investie a essayer d’être dans un minimum dans des règles, à éviter au maximum les coûts et tout ça est compliqué parce que on est dans une société qui est dans l’hyper provocation à la consommation, dans l’hyper image de l’extérieur,… Et donc les gens qui vivent la pauvreté, rendez-vous compte, il faut qu’ils soient les meilleurs citoyens du monde, par exemple, ils doivent fermer les yeux quand ils passent devant des vitrines de magasins, qu’ils n’entendent pas à la radio qu’il y a un gsm qui vient de sortir, qu’ils ne s’intéressent surtout pas à un écran plat parce que eux, il faudrait qu’ils soient aveugles par rapport à ça.

Nous, on peut rêver à toutes ces choses mais pas eux, puisqu’ils n’ont pas les moyens. Ils sont donc vider d’une partie de la substance humaine, c’est-à-dire des désirs, des souhaits, de la tentation. Chez eux, ça devient un défaut, une tare, et même une erreur d’être tenté. C’est grave d’être tenté quand on est pauvre, on n’a qu’a apprendre à se contrôler, à s’autocensurer, à avoir mal, à ravaler sa chique, à dire non à ses enfants, à dire non au marques,… C’est facile de dire que les marques ce n’est pas importants quand on a la capacité de les avoir.

Donc il ne faut pas s’étonner que cette réalité sociétale hyper violente soit quotidienne et constante. Celle-ci est extrêmement dur à recevoir et il ne faut pas s’étonner que les gens ne comprennent plus rien, et se disent : « C’est quoi cette société dans laquelle je n’arrive pas à m’y retrouver et qui en plus, me demande de vivre comme un sourd, un aveugle alors que la société demande tout le contraire au autres ? » Et paradoxalement en plus, sommet de la violence, c’est que notre société, que nous dit-elle ?, Elle nous rabâche que pour que ça tourne bien, il faut consommer, puisque l’économie c’est une circulation de l’argent. Donc être bon citoyen aujourd’hui, c’est consommer. Mais aux personnes en situation précaire, on leur dit que consommer c’est être un mauvais citoyen et qu’ils doivent apprendre à vivre avec peu et se passer de tout puisque ils n’ont pas assez d’argent pour consommer. Il faut quand même bien reconnaître que cette bousculade est dur et qu’elle est rude.

Alors, à coté de ça, la petite portion de tricheurs, d’abuseurs,… qui est un pourcentage infime de ce qui peut représenter cette réalité là dans la pauvreté, c’est complètement anecdotique et secondaire. Et d’autant plus qu’elle est infime en matière de chiffres relatifs aux tricheries, aux fraudes sociales. Les tricheries en termes de chômage, de R.I.S. (revenu d’intégration sociale), … c’est une partie infime, de la fraude sociale et de l’argent qui ne revient pas à la collectivité.

Demain, l’école pourrait peut-être être gratuite si le top cinquante des entreprises Belges payaient des impôts de façon convenables et corrects. Ce qui donnerait la chance à tous les enfants de pouvoir réussir à l’école, de sortir de la pauvreté. Ce sont ces questions là qu’on doit se poser. Je sais que évidement ce sont de grands combats généraux et on va souvent me dire : « On est impuissant par rapport à ça ». Evidemment, nous sommes dans un système très complexe, mais je pense qu’on peut en parler et qu’on peut sensibiliser à sujet et puis c’est le genre de combat qui additionné à d’autres doivent tenter d’infléchir les choses. Mais en dehors de ce grand combat là, regardons au départ de notre fonctionnement, le changement du regard qu’on projette sur les gens en tant que professionnel parce que ça peut aussi nous mettre à l’aise sur la liberté qu’on peut donner, sur une manière de travailler avec eux. Ca peut aussi parfois nous mettre à l’aise sur la liberté qu’on peut s’accorder et nous permettre de déculpabiliser de prendre de la liberté par rapport aux institutions ou à l’institution dans laquelle on bosse. Alors, la liberté évidement elle est relative, jusqu’ou peut-on être libre dans son travail sans avoir un risque de sanction, de contrôle, de retour de flamme, je suis bien d’accord que jouer donquichotte ce n’est pas nécessairement la bonne manière. Faire des alliances entre gens qui décident de se positionner dans des frontières de limites ou autrement dans la manière d’agir, je pense que c’est envisageable et cette démarche peut changer les pratiques.

On est tous pris dans cette réalité, moi y compris au Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté. Ce n’est pas parce qu’on dénonce qu’on n’est pas pris dedans moi, mon salaire existe parce qu’il y a des pauvres, je suis donc prise dans la même réalité que vous. Un des risques auxquels nous sommes déjà confronté c’est que tout simplement, nous sommes dans une société aujourd’hui qui organise la pauvreté durable, c’est-à-dire, qui à décidé qu’une partie de la population était en difficulté, en précarité financière, et en demande de connaissance,…, et qui en organise la gestion. Nous serions une partie des organisateurs de cette gestion. Peut-être la moins mauvaise, parce qu’elle vise à ce que les gens s’émancipent, aient moins mal. Et puis il y a les plus mauvaises qui vont jusqu’à dire aux gens qu’ils sont de mauvais citoyens et qui n’hésite pas à le poursuivre pour différentes raisons. Mais il n’empêche que on est quand même un peu dans ce prisme là aujourd’hui et donc, je sais que c’est un vieil adage du travail social, on devrait pouvoir travailler à notre disparition. Tout ça c’est bien, une belle pensée mais, moi je ne dis pas qu’on devrait pouvoir travailler à notre disparition, moi, je suis convaincue que les assistants sociaux et les éducateurs pourrait être des facilitateurs de bien être et ce, au profit de l’entièreté de la collectivité. Il pourrait faire cela sans devoir remplir tous les jours leur agenda et recevoir tous les jours des gens individuellement en difficulté. Par conséquent, je n’ai pas peur qu’on réduise la pauvreté, je pense qu’on pourrait fournir des tas de choses. En effet, je pense que des projets constructifs qui permettent de se projeter dans la vie, il y en a pleins dont on pourrait se saisir, mais par contre, malheureusement aujourd’hui, on est dans un moment de tensions économiques liés à cette construction au caractère plus capitaliste que social.

Je voudrais peut être dire aussi qu’hier, j’étais à Hotton, pas au « miroir vagabond » mais avec le secrétaire d’Etat Philippe Courard et une personne qui travaille au Réseau Belge de Lutte contre la Pauvreté. Philippe qui est un ancien Sans domicile fixe de Bruxelles, et qui fait partie d’un réseau de mobilisation des sans domiciles fixes au plan Bruxellois, au plan Belge, mais aussi maintenant au plan Européen, il venait parce qu’ils étaient en train de lancer un réseau Européen des personnes sans domicile fixe. Sa présence hier m’amène à dire ceci :

« Personnellement, ma représentation de la réalité de la personne sans domicile fixe, c’est précisément une forme ultime de l’ensemble des rendez vous ratés dans une société, dans une vie. C’est la forme ultime des rendez vous ratés, parce quand une personne sans domicile fixe est sur son carton et qu’on prend la peine de parler longtemps avec elle, que nous dit-elle ? Elle dit : « je suis encore quelqu’un sur mon carton mais quelqu’un qui est recroquevillé. Ce qu’il me reste d’être humain à l’intérieur de moi, c’est une confiance qui n’est presqu’uniquement plus qu’en moi, et encore,… parce que je ne sais plus en accorder à personne et que je ne sais plus en partager avec personne. Ceci explique la situation ultime d’un sans domicile fixe qui ne veut même pas être mis à l’abri la nuit. C’est une question ça quand même ! Doit-on le forcer à rentrer dans une structure parce que s’il meurt là on en est responsable ? Un moment donné, il n’y a plus rien qui fait le lien sauf de continuer à vivre et donc c’est un état de survie de se protéger en dessous de ses couvertures sur un carton. C’est terrible et moi j’appelle ça des rendez vous ratés dans la vie parce que je pense que ce sont des rendez vous ratés à tout point de vue. On doit se poser la question sans se sentir coupable ni responsable mais très souvent pour une partie de ces personnes (mais il ne faut pas généraliser), malgré le nombre de service de contact, d’institution qu’il y a eu dans leur vie, rien n’a enrayé la mécanique parce que de nouveau aucun sans domicile fixe sur son carton dans la rue, ne souhaite être sur son carton dans la rue ou n’a souhaité l’être.

Je ne parlerai pas maintenant du nombre sans cesse croissant de sans domicile fixe c’est encore une autre réalité. Mais c’est interpellant de voir des réalités qui changent comme ça du jour au lendemain : Quelqu’un qui perd son logement aujourd’hui, qui ne sait pas retrouver dans les mesures de son revenu,… Bref, il y a nombre de gens à la rue. Il y a cinq pourcent de travailleurs pauvres qui vivent dans la rue en Belgique pour le moment, de plus en plus de familles, vous le voyez aussi probablement dans vos services. J’ai entendu que le nombre de jeunes entre dix sept et vingt-cinq, vingt-six ans n’arrête pas de croître dans les rues. Comment faire en sorte de ne pas multiplier les rendez-vous ratés ? Comment faire qu’en bout de course, le gens ne se retrouvent plus à la rue ? Je pense que c’est ça notre enjeu de société.

Nous devons nous poser des questions en la matière. Les sans abris manifestent en compagnie des acteurs du travail au plan du « sans abrisme ». Ils nous disent : « Ne vous occupez pas tant du fait qu’on doit être dans un logement aujourd’hui, on vous demande de vous occuper en amont de tout ce qui fait qu’on arrive dans la rue. » C’est extrêmement perturbant pour des travailleurs sociaux qui ont plutôt envie de dire à ces personnes : « On va vous trouver un endroit, ainsi qu’à votre famille ». Mais ils répondent souvent : « Non ce n’est pas nécessaire, occupez-vous d’abord des causes qui font qu’on puisse se retrouver ainsi à la rue ». Et en amont, c’est la pauvreté, c’est les rendez-vous ratés, c’est l’incompréhension, ce sont les conflits familiaux ou institutionnels,…

Je crois que ça nous donne à réfléchir. On est quand même régulièrement pris dans ce prisme de voir des familles avec lesquelles ça ne colle pas dans un service puis dans un autre qui à un moment donné deviennent les porteurs des étiquettes que rien n’est possible avec eux, jamais. Et il est vrai qu’on rencontre des gens, pour lesquels on se dit : Mystère ! Par où aborder cette situation, la pelote est tellement complexe à dénouer. La seule solution que j’ai jamais trouvée, c’est de me dire : « Recule et écoutons les parler, regardons et puis on verra ce qu’on peut apporter à l’intérieur de l’échafaudage qu’ils ont construits pour tenir le coup. » Je pense que les gens en situation de pauvreté que peuvent-ils faire à part essayer de s’organiser et de tenir le coup ? Mais le pour tenir, il faudrait qu’il soit alimenter du plus de satisfactions, du plus de bien être et c’est ça la réalité de chacun à mon avis. Voilà ce que je voulais vous dire et poser comme jalons d’entrée de jeux. Je vous laisse la parole.

 

Le Projet CLES (Stéphanie TOMSEN et Véronique DETAILLE) :

Nous allons donc vous présenter la recherche-action que nous allons mener sur l’arrondissement judiciaire. Après avoir brossé un portrait assez large de la problématique et amené beaucoup de pistes de réflexions sur le sujet comme a pu le faire Madame Mahy, nous allons nous recentrer sur ce que nous allons faire sur notre arrondissement suite aux travaux qui ont été entrepris l’année passée lors de la journée d’étude organisée par la commission CPAS du Conseil.

Cette réunion a permis de mettre en évidence pas mal de choses par rapport à la gratuité de l’école où à la non gratuité de celle-ci et à ce que ça provoquait pour les familles précarisées.

Cette recherche-action s’intitule « Coordination Locale pour une Ecole Solidaire » (C.L.E.S.) et elle porte sur l’année 2011 – 2012. Resituons le projet dans son contexte. Premièrement, l’école n’est pas gratuite en tout cas pas pour tout le monde, et ensuite, bon nombre d’aides pour faire face aux frais de scolarité existent.

C’est vrai que ces frais comprennent le coût de l’école et puis il y a tout ce que le système a mis en place pour que les frais puissent être pris en charge par diverses instances, et ce, pour les familles les plus fragiles. Mais on constate aussi que les familles les plus fragiles, les plus précarisées, pour de multiples raisons, n’y ont pas forcément accès.

Il y a donc, d’une part, les aides et d’autre part, les coûts, ce qui nous donne la possibilité de travailler à deux niveaux. Il y a aussi peut-être une série d’aides qui ne sont pas adaptées parce qu’on ne s’est peut-être pas mis à la place des personnes qui vivent une situation de précarité. On constate aussi que parfois les aides ont été pensées de manière morcelées et pas toujours accessibles au public qui en a le plus besoin.

La difficulté à faire face aux frais de scolarité conditionne évidemment le parcours des enfants et donc, agir là-dessus, c’est aussi peut-être agir sur l’absentéisme scolaire, sur l’échec scolaire ou en tout cas, sur l’exclusion qui découle de ces phénomènes.

Les objectifs généraux de cette recherche-action tendent à définir les objectifs énoncés dans le rapport général sur la pauvreté qui date déjà de 1994. Je ne suis pas certaines qu’on soit beaucoup plus loin qu’on ne l’était à cette époque. Des choses ont été modifiées mais je ne suis pas certaine qu’on puisse évaluer globalement et positivement ce qui s’est passé depuis cette année là en matière de lutte contre la pauvreté. Le rapport du Délégué Général aux Droits de l’Enfant l’a d’ailleurs encore démontré cette année. En matière d’accès à l’enseignement en tout les cas, ce n’est pas encore la situation de rêve.

Par rapport aux objectifs du rapport général, il y avait un axe qui était l’automatisation de l’activation des droits sociaux et de l’aide sociale. Ca rejoint un peu l’idée que véhiculait Christine Mahy quand elle disait que les pauvres devaient toujours justifier le fait d’être pauvre. Donc, pour obtenir des aides, il faut apporter sa fiche de revenu la liste des dépenses qu’on fait et après on verra ce qui se passe car l’aide est conditionnée par tout un ensemble de choses.

Travailler à cette automatisation nous semble être un axe important, en tout cas c’est un objectif qui est en point de mire.

Nous avons aussi pour objectif de sortir des frontières institutionnelles et établir des ponts au bénéfice des plus démunis car, de plus en plus, on se retrouve avec des morcellements d’aide. Par exemple, des personnes précarisées vont aller à leur CPAS et devoir rencontrer un intervenant pour une aide chauffage, ils rencontreront un autre intervenant pour la gestion de leur budget et peut-être encore un autre pour ce qui concerne les loisirs des enfants.

Nous voulons aussi sensibiliser d’avantage les professionnels aux fragilités spécifiques du publique et mieux intégrer celles-ci dans les pratiques institutionnelles.

Il y a aussi des objectifs que je qualifierais de plus opérationnels comme, par exemple, recenser les aides existantes. Il s’agira de faire l’inventaire des aides auxquelles les familles les plus fragiles pourraient prétendre. Quand on parle d’aides existantes, il s’agit aussi de leurs conditions légales d’octroi, des démarches à accomplir pour les obtenir et tout ce qui faut comme formalités pour avoir accès à ces aides.

On va proposer également d’examiner ces aides avec les publics les plus fragiles parce qu’elles peuvent nous sembler, en tant qu’intervenants, tout à fait pertinentes alors qu’elles ne le sont pas pour les familles. Il y a toujours un sens aux choses et si les familles n’activent pas certaines aides, c’est probablement qu’elles n’ont pas de sens pour eux. Il s’agit donc de confronter cette recherche sur les aides à la réalité du public cible et des personnes qui vivent dans la précarité. Il s’agit enfin de réfléchir au sein d’un partenariat intersectoriel, aux démarches institutionnelles qu’on pourrait faire pour réduire les freins à ces aides. Souvent les familles s’adressent à un service qui va devoir les renvoyer à un deuxième, voir à un troisième. Il s’agit donc de voir comment on pourrait faire pour simplifier les choses, pour que ça ne devienne pas un travail à plein temps de chercher des aides pour sortir de sa situation de pauvreté.

Autre objectif : s’assurer de la pertinence des aides auprès du public cible et tester les démarches sur des terrains institutionnels concrets. Ca veut dire qu’il y a ce qui existe mais qu’il y a aussi peut-être des choses qu’on peut promouvoir ou des pratiques développées à titre expérimental dans certaines écoles ou dans certains coins de l’arrondissement. Il s’agit donc de repartir de ces pratiques et de pouvoir le confronter à la réalité du public et de pouvoir les étendre à d’autres endroits si elles ont des effets positifs. Il est important de communiquer les idées ou les ressources que celles-ci viennent des professionnels ou des personnes précarisées, nous paraît aussi être quelque chose d’essentiel.

Nous sommes bien évidemment intéressés par l’expérience des personnes qui vivent la précarité et par les ressources qu’ils ont mis en œuvre par rapport à l’enseignement et aux aides qu’ils peuvent obtenir pour assurer le parcours scolaire de leur enfant. Il est important qu’il y ait chaque fois un aller / retour entre ce qui existe, ce qui peut être fait et la crédibilité, la faisabilité pour le public ciblé.

Et enfin, un des objectifs opérationnels sera d’assurer la pérennisation et la diffusion des démarches les plus pertinentes. On va essayer de partir de ce qui est et de ne pas réinventer le fil à couper le beurre, de confronter ça à la réalité, de voir les améliorations qui sont possibles en fonction des suggestions du public qu’on rencontrera et enfin de pouvoir éventuellement étendre les démarches qui semblent le mieux fonctionner à l’ensemble de l’arrondissement.

Le public cible, dans la première phase du travail, sont les familles précarisées et les réseaux institutionnels gravitant autour des 4 écoles pilotes de l’arrondissement. On s’est dit qu’on ne pouvait pas mener une recherche-action sur 23 communes, ce n’est pas possible. Par contre, si on peut mener ce travail à bien à quatre endroits de l’arrondissement, en essayant d’avoir des écoles partenaires issues à la fois du secondaire, du fondamentale voire de l’enseignement spécial, il y aura, quand même, une certaine forme de représentativité.

On s’est fixé quatre pôles comprenant une école ou un groupe d’écoles et les partenaires sociaux qui gravitent autour, ça peut être le CPAS, l’ATL ou des structures telles que la ligue des familles, bref des structures qui sont autour de l’école et qui peuvent être facilitateurs ou octroyer des aides.

La deuxième phase sera de pouvoir faire connaitre ces travaux à l’ensemble de l’arrondissement afin que ces initiatives puissent se réaliser ailleurs.

Pour ce qui est de la méthodologie, dans la phase que nous avons appelé « pilote », ce sera un travail de recherche et de recensement des aides mais aussi de freins existants, et indentification des difficultés à activer les aides. Nous ferons cela en rencontrant les partenaires sociaux et les écoles mais aussi les bénéficiaires.

Il y aura également un comité de pilotage, qui est déjà constitué, sur lequel nous assiérons l’action. C’est Stéphanie, ici présente qui a mené l’action et qui devra être une équipe à elle toute seule. C’est important qu’elle puisse compter sur un groupe de partenaires qui puisse l’aider à porter l’action, à analyser les contenus et à vérifier qu’on ne s’éloigne pas de ce qui a été prévu et des objectifs de départ. Ce comité sera également chargé de prendre un peu de recul et constituera une équipe autour de notre chercheuse.

C’est ce comité qui sera chargé d’identifier les pistes d’action qui sont le plus praticables. Ces pistes seront aussi validées par les groupes de bénéficiaires, les écoles et les partenaires sociaux.

La phase qui viendra après sera celle des rapports des groupes de travail qui auront été menés. Ceux-ci seront soumis au comité de pilotage, un comité d’accompagnement est aussi prévu.

Cette phase englobera la mise en place de supports structurels, envisagera comment on va faire passer telle ou telle info. Pour ce faire, il sera peut-être nécessaire de créer des outils, des protocoles à envisager et des conventions à passer. Le tout n’est pas de savoir qu’il y a des bonnes pratiques qui se développent mais il s’agit aussi d’envisager leur pérennisation et leur systématisation ou automatisation.

Cette phase sera conclue par la rédaction d’un rapport final.

Concernant la diffusion et la communication de ce rapport final, une journée sera organisée à cette fin 2012, début 2013. Elle permettra de faire connaitre notre projet et nos travaux au plus grand nombre.

En pratique ça veut dire qu’il va falloir consulter la littérature juridique et procéder à des entretiens exploratoires, donc consulter ce qui existe à la fois au niveau des écrits mais aussi des pratiques. Nous comptons aussi nous baser sur des animations de focus-groupes. Nous procéderons aussi à des observations participantes afin de pouvoir accompagner les personnes qui le souhaitent et qui l’acceptent. Il s’agira de voir où ça coince exactement dans tel type d’aide proposée à la rentrée par exemple, ou voir comment la bourse d’étude va arriver à quel moment, comment il faut l’avancer, qu’est-ce qu’on peut trouver comme solution quand il s’agit d’avance cette bourse. Donc, qu’est-ce qui coince dans l’octroi des aides et qui fait que parfois certaines personnes ne vont même pas les demander ?

Le pilotage, l’animation et le suivi des groupes de travail se feront en permanence. Le traitement et l’analyse des indicateurs d’évaluation des différents dispositifs pilotes mis en place se feront ponctuellement. On a envie que ces dispositifs ne soient pas éloignés de la pratique des personnes et que les indicateurs d’évaluations puissent être réellement fiables pour ne pas tomber dans des travers déjà connus dans d’autres aides déjà pratiquées.

La rédaction du rapport se fera en fin de processus.

Les moyens que nous avons obtenus pour mener cette recherche action au niveau du CAAJ sont relatifs aux subventions de prévention générale au niveau de l’Aide à la jeunesse et de la Communauté Française. Nous avons aussi reçu une subvention du Fonds Houtman. celà nous permet l’engagement de Stéphanie pour travailler sur cette recherche et nous donne un peu de moyens de fonctionnement. C’est une belle opportunité de pouvoir développer ce projet sur un an et demie.

Il y a une série de partenaires qui interviendront à la fois dans le comité de pilotage et dans le comité d’accompagnement. Le comité de pilotage va vraiment être la structure qui suit les travaux de près et le comité d’accompagnement sera plus un comité qui apportera son expertise, une analyse plus éloignée et qui se réunira moins souvent, qui sera donc moins en prise avec le quotidien du projet mais qui y apportera un éclairage plus méta.

Dans les partenaires, nous comptons :

 

  • Le Conseil d’Arrondissement de l’Aide à la Jeunesse de Huy ;
  • l’Echalier (SIIF) ;
  • Le Service de l’Aide à la Jeunesse de Huy ;
  • Les écoles secondaires et primaires qui se manifesteront pour constituer les quatre pôles à partir desquels nous allons travailler ;
  • D’autres écoles qui pourraient ne pas être intéressées par le travail en ligne directe mais qui pourraient être intéressées par un apport supplémentaire à la réflexion et souhaiteraient faire partie du comité d’accompagnement ;
  • Mille Lieux de Vie (AMO) ;
  • La Particule (projet pilote) ;
  • Le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté ;
  • Les CPAS.

 

En termes d’évaluation, on a prévu plusieurs « validations ». Il s’agira, je pense, quelque chose d’assez complet. Je vous ai parlé du groupe de pilotage qui sera chargé d’évaluer l’évolution du processus et de voir si on reste bien dans les rails, si on laisse bien une place à toute les parties concernées et s’il n’y a pas un des partenaires qui prend plus de place que les autres. En effet, il y aura le partenaire école, les partenaires sociaux et il y aura les bénéficiaires. Dans l’idée qu’on a de ce projet, il est important que ces trois pôles avancent ensemble et en parallèle et que chacun ait le même droit de parole. Il faut qu’on soit attentif à ce que chacun ait son apport dans le projet.

Il y aura aussi une validation des dispositifs par le public cible, ce qui veut dire que chaque fois qu’il y aura une avancée dans le projet, une piste dégagée qui nous paraitra crédible, on la faira valider par les bénéficiaires.

Il en sera aussi de même pour ce qui est des réseaux de partenaires.

Les critères d’évaluation des dispositifs contribueront à la visibilité du projet. Il faut absolument que les familles n’aient pas besoin d’aller voir au moniteur pour savoir que telle aide est disponible dans telle ou telle condition, dans un endroit mais pas dans un autre etc. …

Il faut absolument que le projet et les outils qui en découleront soient visibles et accessibles à tout le monde. Il faut aussi que ces productions soient lisibles. Ce travail de lisibilité peut se faire sur des aides déjà existantes. En effet, nous constatons que très souvent les document explicatifs ou formulaires liés à ces aides sont imbuvables. Il est donc envisageables de « traduire » certains documents afin de les rendre accessibles.

Il est important aussi que les aides proposées soient praticables. Par exemple en termes de mobilité, si on doit se rendre à Guimguelom pour aller dans tel bureau et obtenir tel formulaire, ce n’est pas forcément réalisable pour tout le monde. La praticabilité du système doit aussi constamment être vérifiée.

Parlons enfin la non stigmatisation. On en revient à l’automatisation. Il faut qu’on puisse avoir ces aides ou qu’on puisse lever les freins des aides déjà existantes sans devoir de nouveau stigmatiser les personnes qui vont devoir le faire. Il faut absolument que ces aides soient plus généralisées et qu’on puisse lever cette stigmatisation. Il est important que les bénéficiaires n’aient pas peur d’être pris pour des mauvais parents s’ils demandent tel ou tel type d’aide.

En ce qui concerne ce que Madame Mahy évoquait en parlant de pauvreté naturelle et de pauvreté immatérielle, et à ces concept, j’ai aussi envie d’ajouter la peur des autres. Je pense, en effet, que la pauvreté fait peur et touche de plus en plus de personne et ce, y compris des travailleurs et je pense que la peur est présente chez les personnes comme si la pauvreté pouvait être contagieuse. J’en veux pour preuve, une mère qui m’a répondu : «  ce n’est pas parce que il y a des enfants pauvres qu’on va pénaliser les nôtre » lorsque j’ai demandé à un conseil participatif s’il n’était pas possible de réduire le cout d’un voyage scolaire. Il y a donc aussi tout un travail à faire sur les mentalités de tout un chacun.

Une autre réflexion que j’ai aussi souvent entendue, c’est celle de personnes qui ne trouvent pas normal que certaines personnes ont droit à des tickets article 27 alors qu’elles ne sont pas beaucoup plus riches (ou sont seules à élever leurs enfants) et doivent payer le pris plein quand elles vont au théâtre ou au cinéma. Il y a donc aussi une opposition et des rivalités qui se créent entre ceux qui n’ont pas les moyens mais qui peuvent obtenir des aides et ceux qui n’ont pas beaucoup plus de moyens et qui ne peuvent pas en obtenir. Je pense donc que dans cette recherche-action, il faudra aussi qu’on soit attentif à tout cela.

Les phases concrètes du projet (Stéphanie TOMSEN):

Le projet va se dérouler pendant une période de plus ou moins un an et demi qui commencera en mai 2011 pour se terminer avec la fameuse journée de présentation qu’on aimerait fixer en janvier 2013 ou du moins en début d’année.

Je vais, donc, vous expliquer brièvement les différentes phases du projet.

De mai à juin 2011 :

Littérature, premiers contacts avec les quatre pôles scolaires, avec les relais de terrain et avec les bénéficiaires dans le but de constituer des groupes « bénéficiaires » afin de construire la recherche-action avec eux. On constituera aussi pendant cette période le C.A. et le Comité de pilotage. Les première réunions de ces deux groupes ont déjà eu lieu ou sont prévues prochainement.

Juillet – aout 2011 :

Cette période consistera beaucoup en un travail de Recherche « littéraire ». Eventuellement, nous procéderons aux premiers entretiens exploratoires. Il s’agira aussi de profiter de cette période pour essayer de lister les différents types d’aides qui existent, leurs modes de fonctionnement, à qui elles s’adressent, etc. Le but est de pouvoir créer des fiches synthétiques explicatives de ces aides et de produire ainsi quelque chose de concret.

De septembre à décembre 2011 :

On commencera les animations de type « focus groupe » avec les écoles et le public cible. Il s’agira par ce procédé, d’essayer d’identifier les freins que l’on peut rencontrer en tant que personne qui fait appel à ces aides ou quels freins à l’octroi de ces aides ont été identifiés par les établissements scolaires.

De janvier à juin 2012 :

On continuera les animations de type « focus groupe » pour essayer de dégager d’éventuelles pistes qui seraient mises en avant par différents groupes de travail. On le validera au niveau du comité de pilotage, des écoles et du public cible comme Véronique vient de nous l’expliquer. On aimerait aussi mettre en place un groupe qui ferait un travail plus transversal. L’objectif de ce groupe étant de faire en sorte que les réflexions s’alimentent les unes les autres et donc que les idées puissent circuler et émerger.

Fin d’année scolaire 2012 :

Début de la rédaction du rapport final qui est prévu pour la fin décembre 2012. Nous procéderons aussi à une évaluation des mises en œuvre ou de pérennisation des pratiques qui sont déjà mises en œuvre pour faciliter les accès aux aides et diminuer les freins que les personnes peuvent rencontrer en faisant appel à celles-ci.

 

Allocution de la Présidente de la Commission « CPAS », Madame IVANOVIC (2’10’’ à

 

Au nom de la commission CPAS du CAAJ, je suis très heureuse de vous accueillir pour cette seconde partie de la journée. Je pense que c’est important de préciser pour ceux qui ne me connaissent pas encore que j’ai deux casquettes aux Conseil d’Arrondissement de l’Aide à la Jeunesse de Huy : j’ai ma casquette CPAS, instance dont on a beaucoup parlé ce matin et j’ai aussi une casquette d’équipe SOS enfants, équipes spécialisées dans la prise en charge de situations de maltraitance. Il faut préciser que dans notre arrondissement, ce sont les CPAS qui se sont regroupés pour constituer cette équipe SOS enfants. Ma participation à la commission CPAS est bien au croisement de ces deux visions car comme le dit Christine Mahy, la pauvreté peut vraiment être considérée comme une maltraitance sociale, maltraitance faite aux familles et aux enfants qui dès le plus jeune âge vont être imprégnés des difficultés, des violences, des privations mais aussi de la disqualification sociale qui concerne leur famille et qu’ils vont intérioriser. Je pense donc que cette approche est tout à fait cohérente.

En ce qui concerne les CPAS, ils sont bien entendu en première ligne dans l’action contre la précarité puisque le législateur les a chargé de cette lourde et difficile mais combien belle mission, d’assurer que tout un chacun dans notre société vive dans des conditions conformes à la dignité humaine.

Cette mission est difficile parce que l’assistance aux pauvres, et ça ne remonte pas à l’époque de la création des CPAS, est depuis toujours (depuis le moyen âge) liée à ces deux tendances contradictoires : une tendance d’assistance et d’aide et de l’autre plutôt liée au contrôle. En effet, les personnes qui n’ont pas de place dans la société sont toujours soupçonnées et apparaissent toujours menaçantes pour l’ordre social. C’est vrai que ces deux tendances existent au sein même des CPAS et existaient d’ailleurs bien avant eux.

Il y a aussi le fait que dans des contextes difficiles de restriction des budgets de l’état d’une société marchande, axée sur le profit (et profit privé), il est clair que les institutions qui ont pour mission de venir en aide aux familles précarisées sont elles-mêmes souvent maltraitées.

On peut parler aussi de cette maltraitance là qui fait que nous aussi, au niveau des CPAS, on est contrôlé, on est tiraillés entre le fédéral, la région et la commune.

C’est vrai que ce n’est vraiment pas simple de travailler dans ce contexte là. On peut se poser la question suivante : « Est-ce que l’institution travaille en miroir avec les difficultés des familles ? » car on subit aussi nous de la maltraitance. Nous ne sommes pas au 19ème siècle même si des choses nous le rappellent dans cette société. Les pauvres assistés par la CAP, l’ancêtre du CPAS, c’était les ouvriers, ce n’était pas des gens qui n’avaient pas de travail. En effet, à cette époque, il s’agissait bien de gens qui avaient du travail mais dont le travail n’était pas suffisant pour leur permettre de vivre. Les temps ont bien changé même si on constate maintenant le retour ce genre de situations de travailleurs pauvres. Nous pouvons donc réfléchir aussi à l’évolution de la société.

La pauvreté est produite par la société. Les CPAS même s’ils travaillent bien, ne sont pas en position d’éradiquer complètement la pauvreté. Elle dépend du fonctionnement même de la société.

Comme je le disais, on est plus au 19ème siècle et je pense qu’on est quand même dans une société démocratique et que cette loi de 76 n’est pas si mal que ça. Effectivement, ce texte pour la première fois, et ce, avant que ça ne soit inscrit dans la constitution belge, aborde l’aide aux pauvres en terme de droits. C’en est vraiment l’originalité. Il s’agit bien d’une révolution qui a été introduite en 1976 par cette approche en termes de droits à l’aide.

La situation n’est pas comparable à celle de 1976, époque à laquelle nous sortions des trente glorieuses et durant laquelle, on imaginait que la pauvreté allait disparaître. On pouvait donc se permettre de dépenser plus de moyens et d’être généreux. On s’est vite rendu compte qu’on n’allait pas vers cette disparition, bien au contraire et celle-ci est revenue d’ailleurs avec le courant néolibéral (néo parce qu’on le distingue de celui du 19ème siècle) qui a suivi cette période. Ce dernier voulait que l’état fasse le moins possible et pensait que la main visible du marché allait tout arranger. Cette petite explication afin de bien comprendre où nous en sommes aujourd’hui.

Cette loi de 76, non seulement nous permettait une approche en termes de droits, et je pense qu’au niveau des travailleurs sociaux c’était important de bien intérioriser ça et de se positionner autrement mais aussi elle nous donnait des outils, comme par exemple la coordination. En effet, la loi nous invite à nous coordonner. Notons aussi qu’elle nous invite à prévenir. On est plus sensé seulement assister, pallier aux inégalités les plus criantes mais également les prévenir.

La prévention, c’est bien de cela qu’il s’agit au niveau de la commission CPAS du CAAJ. C’est quelque chose qu’on ne fait pas souvent dans les CPAS parce qu’on est débordé par trente six mille problématiques. Le nombre de pauvres, non seulement, a augmenté mais en plus, les situations de précarité se sont fortement diversifiées. On a chaque fois des dispositifs particuliers pour chaque type de problématiques.

Quelle action plus naturelle de prévention que celle qui est à destination des enfants qui vivent dans les familles que nous aidons ? Au niveau de la commission CPAS du CAAJ, la démarche nous paraissait très intéressante. C’est pour cette raison que nous nous sommes mobilisés.

Nous avons développé deux chantiers. Le premier concernait les intervenants. En effet, nous avons des difficultés chacun dans nos secteur respectifs et bien souvent, on se rejette la balle d’un côté à l’autre. Finalement, on se rejette nos limites. Nous nous sommes donc dit qu’il pourrait être intéressant, au lieu de continuer comme ça, face à ces difficultés de communication entre les intervenants de l’Aide à la Jeunesse et ceux du CPAS, de réfléchir à des articulations plus harmonieuses qui respectent les limites de chacun mais aussi qui nous permettrait de mutualiser nos ressources. Je pense, en effet, que nous avons quand même des possibilités d’agir.

On s’est mis comme objectif de construire un protocole de collaboration entre les intervenants des deux secteurs. Celui-ci a finalement été signé par les 23 communes de l’arrondissement judiciaire. Et un peu comme le battement des ailes des papillons qui peuvent parfois créer des changements plus importants, ce protocole, (je ne dis pas que c’est lui qui l’a causé) a été un petit pas qui a fait qu’à un autre niveau, celui de la Communauté française, on a trouvé la démarche intéressante et on a eu envie de l’adapter à un cadre plus large et plus élaboré. Il s’agit donc bien ici de transversalité, chose à laquelle je crois énormément.

C’est vrai que nous n’avons pas beaucoup de moyens mais au lieu de se plaindre chacun de notre côté, mettons déjà nos moyens ensemble, ne fut-ce que par solidarité et je suis persuadée que les choses seraient déjà beaucoup plus faciles.

Le second des chantiers que nous allons entreprendre fait suite à la visite que nous a rendu, il y a peu (en mars 2010), le Délégué général aux droits de l’enfant à l’occasion des conférences qu’il donnait dans le cadre de l’année européenne de lutte contre la pauvreté. La commission CPAS à organisé une journée, lors de laquelle Monsieur De Vos nous a présenté le rapport qu’il a rédigé en la matière. Lors de cette rencontre, la matinée était consacrée au rapport du délégué général et l’après-midi voyait les participants se répartir en ateliers de réflexions dont l’un était chargé d’envisager la précarité en terme de scolarité et de gratuité de l’enseignement. Nous avons donc décidé que nous allions nous engager et dans la mesure du possible, engager nos secteurs au niveau de l’arrondissement dans ce second chantier qui me paraît, à la lueur de ce qui a été dit ce matin être opportun. En effet, il s’agit de travailler la transversalité entre les acteurs du scolaire et des autres secteurs (associatif, CPAS, Aide à la jeunesse,…) mais aussi il s’agit de travailler à la mutualisation des ressources afin qu’au niveau des familles précarisées, on construise dans nos communautés locales ce que certains ont appelé des tuteurs de résilience qui font que, malgré le contexte difficile dans lequel ils vivent et auquel ils sont confrontés, il parviennent malgré tout, pour les enfant en tout cas, à grandir et à se développer de manière optimale.

Je pense que les enfants qui vivent en situation de précarité ont besoin de ressources et donc, il faut les aider à se construire le mieux possible car c’est vrai que pour affronter la vie ils auront besoin de force.

Il me reste à vous présenter le conférencier, que nous avons choisi parce que même si on a des projets et des idées, il n’est pas facile de passer de la théorie à l’action. Je pense qu’un des meilleurs façons d’apprendre, c’est d’abord d’imiter.

Bruno Humbeek, travaille au CPAS de Peruwetz, il connait donc bien l’institution. Il est psychopédagogue et a collaboré au centre de recherche en innovation socio pédagogique et scolaire. Il a, entre autre, travaillé avec toute l’équipe du professeur Courtois de l’Université de Mons Hainaut et a donc participé à d’énormes recherches sur les approches pédagogiques de la parentalité en milieu précarisé. Précisons aussi qu’il a déjà développé bon nombre de structure qui vont un peu dans le sens de ce qu’on va essayer de développer à Huy.

Je lui cède la parole.

 

« Ecole, famille, société… Travailler ensemble pour tutoriser la résilience… »

(Bruno HUMBEECK, psychopédagogue, chercheur UMH, Promoteur de la Maison de la Parentalité de Peruwelz)

C’est très intéressant d’entendre qu’on initie des mouvements comme le vôtre, d’autant plus que j’entends ce genre de chose un peu partout. Ici ; vous avez déjà avancé de façon concrète en mettant ensemble des gens qui d’habitude sont dans l’entre soi. Il faut savoir que l’entre soi c’est terriblement dangereux. Quand on est entre enseignants, par exemple. Dans cette situation, on finit par se conforter dans l’idée que dès qu’on sera dans l’entre deux on sera en danger. Le premier entre deux c’est évidemment, l’entre deux « école – famille »qui est la chasse gardé de l’un et de l’autre et le lieu de confrontations massives. Il y a aussi l’entre soi des CPAS, avec effectivement, comme évoqué en introduction une forme de plainte et dans l’entre soi, on va conforter ou confirmer la plainte comme on va le faire dans les SAJ et comme on le fait partout.

L’idée qu’on poursuit est celle de créer des communautés éducatives. On parle aussi beaucoup de prévention, il y a une prévention, c’est l’éducation. C’est pour ça qu’être travailleur social ou devenir psychopédagogue, je pense que c’est un cheminement intéressant sur le plan de l’idée de la prévention. Il est important de considérer qu’on n’en fait jamais autant qu’en éduquant. Finalement, vous êtes tous des éducateurs, parfois des éducateurs qui s’ignorent. Mais notre objectif est de participer au développement des autres et on participe à celui-ci. C’est l’option qu’on va prendre quand on veut se mettre en réseau, par le biais de l’éducabilité, c'est-à-dire, considérer que tout le monde est éducable.

On ne peut pas faire une communauté éducative avec des personnes qui estimeraient qu’un certain nombre des membres de cette communauté n’est pas éducables parce que trop ceci parce que pas assez cela. C’est terriblement dangereux.

A part ça, c’est un mouvement de notre société, parce qu’il est évident qu’on éduque plus tout seul. Par exemple, les personnes qui sont parents et présents aujourd’hui ont abandonné leurs enfants, vu que ces derniers ne sont pas ici. Ils sont donc pris en charge par d’autres. Vous êtes donc tous en train de co-éduquer sans le savoir. Etes-vous certain que les gens qui s’occupent actuellement de vos enfants le font bien ? La question n’est pas évidente, nous devons apprendre à éduquer ensemble et ça ne va pas de soi car c’est un des lieux de confrontations intenses.

Dans la première partie de l’exposé, on va parler de la première coéducation qui est la coéducation école (ou crèche) – famille. Quand on la laisse se dérouler naturellement, on a l’impression que ça va donner lieu à des confrontations massives. Les enseignants contre les parents. Je travaille dans ce domaine là depuis plus de quinze ans, j’anime une émission (sur télé Sambre) sur le plateau de laquelle on fait venir des parents, des adolescents et des enseignants et on leur propose de discuter d’éducation, d’enfants. Il n’y a eu aucun conflit. On m’invite une fois à la RTBF et une fois à RTL, pour respecter l’équilibre, après trois minutes je me suis retrouvé dans un conflit énorme parce qu’on a l’obligation une fois qu’un débat est créé de démontrer que la société vit, bouge et donc se bat. On a donc organisé la confrontation en m’emmenant très vite dans les pièges des relations école – famille.

Pour le travail qu’on va faire maintenant, je vais vous demander d’imaginer un double triangle. Le premier représente ce qui fait qu’à un moment donné, un enseignant décide d’être enseignant. Certains enseignants quand on leur demande quel est leur rôle, répondent qu’ils sont là uniquement pour enseigner. Imaginer ce triangle. La première pointe de celui-ci représente l’enseignant, la deuxième pointe, le savoir explicite (je suis professeur de français ou de mathématiques) et la troisième pointe représente l’élève « théorique », c’est-à-dire, l’enfant devenu élève parce qu’il est magiquement rentré à l’école. On n’accouche pas d’un élève, mais bien d’abord d’un enfant qui le devient en rentrant dans certains espaces.

Certains enseignants ne s’occupent essentiellement que de ce triangle en considérant que leur travail consiste uniquement en une transmission de savoirs. Je dis des choses et ceux qui sont devant moi, sont sensés les avaler. Plus vous montez dans la hiérarchie implicite de l’enseignement, et plus vous avez à faire à des enseignants, c’est-à-dire à des gens qui ont renoncé à être des pédagogues. Quand vous enseignez, vous renoncer à l’idée que l’autre est en mesure d’apprendre, vous le gavez. A l’université, c’est ce qu’on fait. En maternelle, pas du tout, c’est d’ailleurs difficile d’y enseigner. Quand je suis confronté à des enfants de maternelle et que je suis amené à y enseigner, ils me disent tous qu’ils ne comprennent pas ce que je raconte. S’ils ne le disent pas, ils me le montrent. Il faut aussi mettre l’autre en condition d’apprendre, les enseignements de maternelle le savent parfaitement. C’est beaucoup plus difficile que d’enseigner. Il s’agit de considérer que la personne qu’on a en face de soit est capable d’apprendre. Dès que vous enseignez, vous avez renoncé à cette idée.

Il n’empêche qu’enseigner et transmettre des connaissances est une partie de la fonction des enseignants.

Dans cette théorie du triangle, il faut toujours faire attention à la partie qu’on laisse « morte ». Par exemple, si j’enseigne, c’est l’enfant qui n’écoute plus, qui décroche, qui fait le fou,… L’enseignant doit s’interroger sur cette partie là.

D’autres enseignants peuvent éduquer ou former. Former : mettre l’enfant en situation d’apprendre. En maternelle, on le fait depuis Montessori, on met en place des espaces qui vont être favorables aux apprentissages de l’enfant.

On a essayé avec la naissance de la notion de « non directivité » de généraliser ce type d’apprentissage à tout l’enseignement. On a constaté que comme tous les enseignants n’étaient pas toujours préparé à le faire, certains faisaient les morts en disant : « Allez-y apprenez par vous-même ». C’est un phénomène qu’on voit beaucoup en informatique par exemple où les gens callés dans le domaine et sensés vous aider dans votre apprentissage sont de très mauvais pédagogues. C’est le paradoxe de l’enseignement, plus vous êtes mauvais dans une branche et mieux vous savez l’enseigner. A l’inverse, plus vous êtes bon et moins vous savez l’enseigner. Un très bon mathématicien ne conçoit pas que les autres ne comprennent pas les mathématiques. C’est souvent la même chose en informatique. Quand je demande une explication à un informaticien, je sais que je comprendrai deux fois moins mais qu’en plus je ne comprendrai pas l’idée que je ne comprenne pas. C’est un des paradoxes de l’enseignement, qui néglige le tutorat. Faites apprendre quelque chose à un enfant par un de ces condisciples qui vient de l’acquérir et vous verrez la différence. C’est d’autant plus vrai s’il y a un adulte pour soutenir cet apprentissage. Il faut centrer l’enfant sur la relation. C’est beaucoup plus producteur car on est beaucoup plus proche des schémas de compréhension de l’autre. On comprend aussi qu’il ne comprenne pas et donc on avance très bien. C’est une autre option.

Certains enseignants se disent plutôt en abordant leur travail : « Je me préoccupe du développement de l’enfant ». C’est très bien… mais ça, c’est l’instit dans le feuilleton télévisé. C’est de la coéducation, il va dans les familles et il séduit même les mères. C’est un chantre de la coéducation. Mais évidemment comme toutes les œuvres pédagogiques, il faut savoir que cette série est une commande de François Mitterrand auprès des chaines nationales pour revaloriser le rôle des enseignants. Il avait demandé une série où un enseignant serait un héro pour relancer l’idée du hussard de la république. Alors dans cette série, effectivement, vous avez la base du triangle qui est hyper solidifiée, c’est un enseignant qui éduque. C’est d’ailleurs un ancien juge de la jeunesse. C’est un personnage intéressant à analyser dans le cadre d’une rencontre comme celle-ci. Il vient de l’aide à la jeunesse et il plonge dans l’enseignement. Ce passé lui permet d’être cet éducateur là, celui qui heureusement est intérimaire. Imaginez trente secondes qu’il reste toujours dans la même classe. Il exploserait parce l’inspecteur va venir le voir et il lui demandera : « où sont les savoirs ? Qu’est-ce que tu transmets ? T’es toujours en train de te balader en autobus à gauche et à droite… Tu t’occupes surtout d’un enfant, bien plus que des autres. » Le rôle des pédagogues est un peu celui d’un vendeur d’illusions, on enseigne très mal nous-mêmes mais on explique vers quoi il faudrait aller. Tout les pédagogues ont été de très mauvais enseignants. Par exemple, Rousseau à abandonner son enfant. Les pédagogues sont là pour prôner un idéal, pour dire voilà comment on devrait faire, pas comment on fait. Donc l’idée, c’est de dire comment on pourrait imaginer une société dans laquelle chacun est sensible au rôle de l’autre. Evidemment que dans nos sociétés, on ne peut plus enseigner à un troupeau mais on doit éduquer individuellement les enfants. Ceux-ci s’en foutent de savoir que vous êtes un grand humaniste. Ce qu’ils veulent c’est être aimé chacun individuellement pour ce qu’ils sont, c’est ça qu’un enfant attend dans l’école. Ca veut dire que même si la situation est illusoire, c’est celle-là que chaque enfant va attendre. Etre dans une relation privilégiée avec un enseignant qui est ouvert au monde et qui est capable de gérer même les problèmes familiaux quand ça arrive.

L’instit, on peut dire que c’est un homme extraordinaire, un superman de la pédagogie et du travail social mais ce n’est pas tenable chez un individu tout seul. C’est la grosse difficulté. Dans cette série on sent bien qu’on est que dans un film parce que faire de la coéducation, de l’alliance éducative en allant avec sa moto de ville en ville, c’est très bien mais quand il s’en va tout s’éteint chaque fois. Or, le mécanisme qu’il a enclenché est intéressant. Il a simplement dit : « Attention, il y a un espace qui est intéressant, c’est l’espace de coéducation. » Voilà donc un premier concept. Ce n’est pas du co enseignement. Voilà un premier lieu de tension massif entre l’école et la famille, c’est quand le parent se mets à co enseigner, quand il se met lui-même à être un enseignant.

Il y en a surement ici qui font les devoir avec leurs enfants. Est-ce qu’il y en a que ça énerve ? Je pense que c’est le cas de la plupart des parents. Voilà, par exemple, un lieu de maltraitance terriblement mal exploré mais dans lequel, tous, y compris les parents les plus ordinaires, le plus gentils, les plus sympathiques expérimentent temporairement la maltraitance d’une manière assez ordinaire en étant évidemment lamentable sur le plan pédagogique. Quand on crie des questions, qu’on en crie trois les unes à la suite des autres, quand vous criez des questions et que vous donnez des réponses en même temps, évidemment que l’enfant ne pense plus, on l’a vérifié expérimentalement. Il n’y a plus de réflexion chez l’enfant.

La bonne nouvelle dans la recherche qu’on a fait sur Charleroi, c’est que les enfants ne souffrent pas tant que ça. Ils disent maman devient folle. Ils souffrent quand les papas s’y mettent, quand les papas disent ça ne va pas tu t’énerve, je vais le faire et que trois minutes après, ils s’énervent aussi. Là l’enfant à compris que c’était effectivement lui qui était celui qui allait créer effectivement cette tension là. On connaît l’origine de cette tension. On sait que ça vient de ce qu’on appelle l’hyper parentalité, c’est-à-dire le fait qu’on ne met plus au monde des enfants mais qu’on met au monde des enfants heureux et destinés à heureux jusqu’à la fin de leurs jours. Pour prévenir ce bonheur, on doit nécessairement en faire des bêtes d’école. Ca veut dire qu’ils doivent absolument rassurer leurs parents. Donc, quand les mathématiques ne rentrent pas toutes seules, les parents s’énervent.

Il faut savoir que c’est comme ça que les informations doivent rentrer, c’est-à-dire par insight, vous allez vous coucher et le lendemain matin, vous avez compris. D’autre se lèveront et n’auront toujours pas compris.

Se dire qu’on est bon ou pas bon en mathématiques, par exemple, est une décision qu’on a pris relativement tôt, vers 8-10 ans. A un moment, on se dit : « les mathématiques, ce n’est pas pour moi, j’énerve tout le monde quand j’en fais. »

Il faut évidemment que l’enfant l’accepte, cette décision d’être nul en mathématiques. Notons qu’en Belgique, nous avons un système scolaire terriblement pervers. On n’y échoue pas, en tout cas c’est un des systèmes européens, avec le système allemand, où on échoue le moins mais on s’oriente.

C’est le cas notamment en milieu défavorisé où on s’oriente très vite. Certains enfants, dès les maternelles, ont déjà une forme d’orientation implicite qui est fixée sur leur parcours parce qu’on anticipe déjà qu’ils n’iront pas à l’université par exemple. On a déjà cette espèce de distorsion. Et puis, il faut qu’il y ait un accord de l’enfant (se disant par exemple : je suis mauvais en math), avec la complicité de l’adulte (adulte se disant : il est vraiment mauvais en math) et évidemment entériné par l’enseignant qui accepte l’idée que l’enfant n’est pas fort en math. Vous vous retrouvez avec quelques années de plus à déterminer fièrement que vous n’êtes pas bons en mathématiques. Evidemment, on a fait de vous des individus peu fort en mathématiques, ce n’est pas très compliqué, il suffit de vous rendre anxieux. Si vous êtes anxieux, vous ne savez pas faire de mathématiques parce que la partie de votre cerveau qui est utile pour retenir sept chiffres est une partie du cerveau qui est paralysée par l’anxiété.

Ceux qui ont accepté l’idée qu’ils étaient bons en mathématiques vont générer des tas d’endorphine et vont se dire par rapport au math : « Plus c’est dur, plus c’est bon. »

Nous parlons ici d’endorphines qui sont libérées et qui provoquent un orgasme cérébral, car c’est de cela qu’il s’agit chez ceux qui se disent bons en math. Il nous permet d’éprouver du plaisir toute sa vie parce qu’on se juge digne de découvrir le monde. Ca c’est la plus belle phrase que Camus ait jamais dite quand il a dédié son prix Nobel à son instituteur en disant : « c’est la première personne qui m’a jugée digne de découvrir le monde. » Effectivement, je travaille de plus en plus en maternelle et tous les enfants ont un désir fou de découvrir le monde. C’est toujours ça qui me fascine lorsque que j’ai à faire à une classe de petits. C’est pour un plaisir absolu. Ce qui me plait moins (c’est mon désespoir absolu) c’est de constater tout ce qui va être fait après pour transformer ce désir de découvrir le monde, ce plaisir de le découvrir en autre chose, et ce, avec la complicité de tous quand on se met à co enseigner.

On le dit toujours aux enseignants : « Dès qu’un parent veut co enseigner, sortez vos griffes. C’est vous l’enseignant, le domaine des parents, c’est le domicile où ils peuvent enseigner d’autres choses toutes aussi intéressantes que sont les savoir implicites. Mais en termes de savoirs explicites, dans la classe, c’est vous le maître. »

Nous leur demandons aussi d’arrêter de donner des devoirs car tels qu’ils sont donnés actuellement, ce sont de vrais pièges sur le plan de la coéducation. C’est catastrophique ! On demande aux parents de co enseigner tout en ayant l’illusion qu’on corrige des devoirs d’enfants. Evidemment qu’actuellement, tout les parents y participent et ne pensez pas qu’en milieu défavorisé, on y participe moins car c’est plutôt l’inverse. On fait circuler cette illusion dans les débats sur les chaines de télévision qui voudrait que les parents à l’heure actuelle soient démobilisés, mais ce n’est pas le cas, ils le sont beaucoup trop. Ils sont mobilisés par l’école, et par le foot. C’est là que les parents deviennent fous, le long d’un terrain de foot et dans les devoirs. Demandez un peu à un parent comment va son enfant. Il va vous répondre automatiquement par un résultat scolaire comme si c’était un thermomètre. (Comment il va Brian ? – Quatre-vingt pourcents.)

Vous avez constamment ce mécanisme qui fait qu’une société scolaro-centrée va considérer l’école comme un ascenseur social absolu et va alors se donner l’illusion qu’en enseignant tous ensemble ça va aller mieux. Et là, c’est la catastrophe parce que les enseignants en ont marre de corriger des devoirs de parents (qu’on appelle parents hélicoptères).

Les parents curling sont des parents qu’on est tous quand on se conduit en parent très attentif. Le curling, c’est un sport où on lance un palais et on balaye devant pour que le palais arrive le plus près possible de son objectif qui ici serait le bonheur. On balaye énormément pour que nos enfants soient heureux. Si bien que certains vont se transformer en parent hélicoptère. C’est un phénomène que l’on retrouve très souvent quand les parents cherchent à faire les devoir à la place de leurs enfants, il faut surtout éviter qu’il rentre un devoir de mauvaise qualité. Dans tous les devoirs, le premier travail de l’enseignant, c’est d’essayer d’éliminer tout ce qui vient du parent. Alors tout le monde y perd. Les enseignants perdent beaucoup de temps à corriger les devoir des parents. Les parents perdent un temps fou à s’énerver comme des malades, ce sont les parents qui regardent les journaux de classe et disent à leur enfant : « Ouf, tu n’as pas de devoirs. » L’enfant, pour sa part, s’en fout plus ou moins.

Quand le rapport au savoir n’est pas soumis à tension, l’enfant est détendu et prend le temps d’apprendre comme il l’entend. Les parents mettent évidemment beaucoup de tension sur ce rapport au savoir parce que le temps parasite tout : «  On a une demi-heure pour faire les devoirs », ça c’est le temps court. Il y a aussi le temps long : « Tu ne sais pas faire 6 + 2 et ton voisin, il sait déjà faire 6 + 5… » On fait rentrer les choses au burin dans la tête des enfants.

C’est comme ça qu’on rend nos enfants allergiques aux mathématiques et notamment en milieux défavorisé où on a une surmobilisation. Il faut savoir que le temps moyen passé à faire les devoirs lors des toutes premières années de scolarité de l’enfant est doublé en milieu défavorisé. Ils s’occupent beaucoup plus des devoirs contrairement à ce qu’on pensait. Et ensuite, comme les résultats sont profondément décevants, on arrête d’un coup.

Alors effectivement, on assiste à une démobilisation mais après une surmobilisation et ce phénomène a trop peu été étudié. Il faut replacer la réflexion dans un contexte d’éducation plus global. A Peruwelz, il y un service qui permet d’unifier le réseau de cette prévention éducative au niveau du CPAS. Il s’agit du service le galion qui est une cellule d’éducation familiale au sein du CPAS couplée à la maison de la parentalité qui est le même service mais pour toute la population.

Surtout n’enfermez jamais des services à l’intérieur de votre CPAS sans penser à les diffuser à l’extérieur. Car cela risque de faire de mini ghetto. Tous les parents ont besoins de repères et surtout pas de conseils qui ne servent à rien. Ils ont besoin de repères en termes d’éducation, afin de leur permettre de poser les questions autrement et surtout pas de donner les réponses. Il faut aussi accepter l’idée que les familles ont changée.

C’est fini la famille Ingals maintenant, nous avons à faire à la famille Simpson. Si vous comparez les deux, vous allez voir à quel point les familles ont changé. Ingals et Simpson, il s’agit de plus ou moins la même famille du point de vue de la structure. Un couple qui s’est choisi par élection. Charles et Caroline et Marge et Homer se sont choisis. Ensuite vous avez trois enfants dans chacune des familles. Le premier confirme les attentes d’une société, c’est le cas de Marie Ingals et Lisa Simpson, l’une surdouée, l’autre sur obéissante, les mauvaises langues diront  « au point de devenir aveugle ». Le deuxième enfant va mettre à mal les attentes sociales. Bart Simpson d’un coté et Laura Ingals de l’autre. Le troisième enfant dans ces deux familles a un rôle d’enfant superfétatoire, c’est-à-dire celui qui existe à peine, c’est Carrie chez les Ingals et Maggie chez les Simpson. Elles sont justes là pour interroger le désir de parentalité des parents. Est-il maintenu ? Souvent le père s’en fout un peu et la mère a complètement parasité cet enfant. Vous avez donc à faire au même type de famille. Ce qui diffère ce sont les objectifs de ces familles parce que les familles ont terriblement changées.

Chez les Ingals, on transmet des valeurs et on fait en sorte que les enfants soient « bien élevés », c’est-à-dire, qu’ils soient obéissants. On utilise tout ce qui est appelé pédagogie noire (pas de manière nécessairement négative). On va humilier l’enfant, le culpabiliser, utiliser un martinet (que Charles utilise à 12 reprises lors de la première saison). On ne voit jamais la scène où il frappe mais on voit le moment où il ouvre la porte du placard pour aller y chercher le martinet. En effet, à cette époque, tout est permis quand vous voulez faire « pousser droit ».

Chez les Simpson, c’est un peu différent, on a pas du tout l’intension de bien élever ses enfants, on veut juste qu’ils s’épanouissent le mieux possible. On est dans le laisser croître mais surtout, on va fixer l’épanouissement de l’enfant comme autre objectif. J’ai longtemps donné une formation aux jeunes délégués des SAJ-SPJ et le premier cas qu’on leur transmet, c’est Bart et Lisa Simpson. Ca leur apprend déjà une chose essentielle et toute nouvelle dans l’aide à la jeunesse, c’est qu’on individualise les dossiers d’enfants. On ne demande pas dans la famille Simpson si Homer est maltraitant, on demande s’il est maltraitant pour Lisa, l’est-il pour Maggie et Bart et que peut-on faire dans cette situation ? (procédures de soutien à la parentalité,…)

Etonnement, chez les Ingals, pas question de soutien à la parentalité. On vous dit qu’il n’y a pas de maltraitance parce Charles Ingals est le monsieur parfait, il ne pose aucun problème. Il est évidemment très rassurant parce qu’il va dans nos schémas mentaux anciens et, si on regarde la structure de chaque épisode, il véhicule simplement le message suivant : « un problème, une solution ! »

Dans cette série, il y a souvent une scène terminale dans laquelle les personnages regardent tous ensemble un des enfants en train de faire une micro bêtise et tous en rigolent gentiment. Il y a exactement la même chose chez Julie Lescaut. Ce n’est pas anodin, c’est fait pour vous montrer que même si vous travaillez comme des malades, vous devez quand même réussir à assumer vos deux rôles puisque Julie Lescaut, qui est commissaire, qui court derrière des voleurs et multiplie les risques y arrive bien, elle, et en plus, elle est toute seule. Donc si vous n’y arrivez pas, et bien c’est de votre faute.

Donc chez les Ingals, on pourrait résumer ce que je viens de dire en analysant les épisodes de la sorte : problème – solution – famille unie.

Chez les Simpson, c’est plutôt : problème – pas de solution mais une autre façon de se poser les questions, on n’est pas dans le système qui veut que l’épisode soit fermé sur lui-même. La scène rituelle, c’est le divan, c’est-à-dire la famille Simpson qui va se regarder et qui va s’interroger sur elle-même. C’est ce qu’on appelle en langage scientifique, la famille réflective. C’est la famille qui va chercher des endroits où pouvoir se poser des questions.

Si vous ouvrez des espaces de soutien à la parentalité, tordez le coup à l’idée que vous allez travailler avec des familles Ingals en corrigeant les problèmes rencontrés. Les gens ne vont pas venir vous demander des conseils, ils vont vous demandez des manières autres de se voir en se posant la question suivante : « Comment pourrais-je faire en sorte que mes enfants s’épanouissent ? » Et donc, on s’interroge avec les personnes en regardant leur vie comme on regarderait un feuilleton. Là c’est productif. Il faut bien entendu toujours adapter les services aux réalités.

De nouveau, on est dans cette idée que ces familles ont changées mais l’école aussi. L’école est fermée à la société. Tout a changé et les institutions aussi. Les premières institutions scolaires ont été clairement construites contre les familles. Les premières écoles maternelles étaient appelées des asiles. Le but du jeu était d’y faire venir les enfants pour qu’ils ne soient surtout plus élevés par ces familles là. Des familles qui étaient des familles d’ouvriers considérées comme « éduquant mal ». Le but était de corriger l’éducation de leurs enfants. Et puis on s’est dit : « Tiens, en corrigeant les enfants, on pourra peut-être corriger les adultes ». On va donc les « bourrer » entre autre d’évangile. Et ils iront évangéliser leurs parents. Les premiers devoirs sont venus comme ça, on faisait répéter l’évangile appris par cœur par l’enfant avec des bonnes sœurs qui regardaient tout le monde et tapaient sur les doigts des enfants quand ça se passait mal. Cette pédagogie noire, qu’on connait tous, a existé dans ces salles d’asiles. Celles-ci sont progressivement devenu des écoles gardiennes ces espaces où on déposait des enfants parce qu’il fallait bien les garder quelque part pendant que les parents travaillaient. Et puis, ce sont devenu les écoles maternelles, c’est-à-dire des écoles sensées au moins jouer un rôle maternant. C’est Montessori qui a amorcé ce travail de changement en se disant : « Attention, l’école a un rôle à jouer dans les familles et donc, elle doit le jouer avec les familles ». C’est à ce moment que les milieux favorisés ont squatté les écoles et en ont fait des espaces à leur disposition. La famille s’est dit que l’école lui appartenait. On est donc arrivé dans une situation de consommation. L’école est devenue un produit de consommation par des familles de milieux favorisés.

Ce que je vous raconte aujourd’hui concernant l’alliance éducative était absolument inenvisageable il y a trente ans. A cette époque-là, il était hors de question de travailler avec les familles.

Si on regarde comment sont construites les écoles, on constate que souvent, il y a des murs tout autour. Chaque classe est une île fermée aux autres. Toutes les écoles ont une construction géographique qui les ferme à la communauté éducative. Ce qui engendre des pièges. Le premier est le coenseignement dont on a déjà parlé et le second est la cogestion de l’espace scolaire. C’est le piège dans lequel tombent, malheureusement, énormément d’associations de parents. C’est pour cette raison qu’elles ne survivent pas toujours très longtemps. En effet, elles se disent qu’elles vont gérer l’espace scolaire et interviennent parce que les toilettes sont sales, parce que rien n’est fait pour garder les enfants qui brossent à l’intérieur du bâtiment,… On discute beaucoup trop de l’espace scolaire qui n’appartient qu’aux enseignants et à la direction de l’école.

Ce sont donc, ici, les deux pièges auxquelles on a à faire face quand la famille est envahissante à l’intérieur de l’école.

Quand on a travaillé sur Charleroi, sur Eterbeek et sur Peruwelz sur des projets de coéducation, on a dit aux enseignants qu’on allait travailler avec les parents. La première chose qu’on a dû leur dire, c’est que les parents allaient leur foutre la paix. Il faut savoir ce que c’est que de voir débarquer dans la cour de récréation un papa en training qui canarde tout le monde. J’ai vu des écoles tétanisées par cette idée là et qui se sont dit qu’elles allaient fermer les portes de leur établissement. Quand vous travaillez pour ouvrir un espace, si vous ne donnez pas des garanties en termes d’identité et en termes de sécurité, cet espace risque de se refermer deux fois si la situation dégénère. Vous ne pourrez alors même plus parler de coéducation.

Quand on a commencé à travailler à Charleroi, on n’y arrivait pas. Il faut d’abord baliser en disant attention on va sécuriser.

Il y a deux types de parents les lanceurs d’enfants qui sont pressés et ne rentrent même pas dans l’école le matin et ceux qui rentrent en classe s’installent et discutent. Chacun a sa manière de faire. Dans ces écoles où nous travaillons, on a rétabli le rang et l’appel afin que l’enfant apprenne qu’il va devenir un élève (passer du statut d’enfant à celui d’élève) et rentrer dans un espace où les règles changent. A l’école, il doit respecter les règles de la classe, qui ne sont pas celles du monde entier. Parce que c’est le problème de l’école quand elle commence à rentrer dans les familles en déterminant que la manière dont elle éduque est la bonne manière.

Récapitulons, premier piège : le coenseignement ; deuxième piège, la cogestion ; troisième piège qui est fondamentale aussi : la police des familles. La police des familles c’est quand je détermine que ce que je fais en classe, c’est comme ça qu’on doit éduquer.

Par exemple : Si je vous dis : « Putain ! » Est-ce une grossièreté ? Les mots sont vivants et c’est un mot qui a été vécu comme terriblement grossier après la révolution sexuelle. On utilise toujours comme injure une identité qu’on craint de se voir attribuer. Vous libérer sexuellement les individus, l’identité de putain devient disponible et donc je vais l’attribué aux autres. Actuellement, on a par exemple, libéré l’identité d’homosexuel, vous avez donc des injures qui tournes autour de ce thème. Pour « putain », c’est aussi une interjection : « Putain, c’est génial ! » A ce moment-là est-ce encore une injure ? Pour certains on est encore dans le dynamique « mot interdit ». Brian ne peut pas dire « putain ! » en classe donc l’instituteur le gronde, et lui met un zéro sur dix en politesse. Quand il rentre chez lui, sa mère lui dit : « Putain Brian, t’as encore eu zéro ! ». Ca met l’enfant dans une situation intenable, il ne sait pas comment réagir.

Il y a tout une série de fautes que les gens font quand ils parlent qui ne justifient pas qu’on se fasse traiter de « Chartier » et que nos parents se fassent traités de la sorte. Car si on nous donne zéro sur dix à l’école parce qu’on parle comme un « Chartier » que doit-on faire ? Soit on trahi l’école et on reste près de ses parents ou alors on trahi le langage de son père en choisissant l’école. On se retrouve enfermé dans une double logique qui empêche toute manifestation de coéducation.

C’est pas très compliqué de dire à un enseignant qu’il n’est pas là pour déterminer ce qu’est le français mais pour diffuser la langue de l’école qui est un certain français. Si un enseignant dit : « Ici on ne parle pas comme ça. », il n’y a plus aucun problème, l’enfant va très bien comprendre qu’il y a des français différents. Faire passer le message suivant : « Chez vous, on parle différemment mais ici on parle comme ça. »

Je travaille actuellement à l’assimilation du langage en maternelle et je suis parfois tétanisé de voir comment on parle aux enfants. A Charleroi, dans les milieux très défavorisés, des chaussures, ce sont des gogottes. Ca n’existe qu’à Charleroi. Quand vous mettez en place un imagier, que l’enfant voit une chaussure, il dit : « gogotte ». Si l’enseignant dit, par exemple : « Non, ça n’existe pas ça des gogottes », il faut aussi penser au message qu’on est en trainde faire passer à l’enfant. On lui dit que la chaussure n’existe pas. Si l’enseignant dit : « Ici ça s’appelle une chaussure ». L’enfant comprend qu’une gogotte, c’est aussi une chaussure. Il enrichit son patrimoine linguistique. Il faut pouvoir dire aux enfants qu’un Bic une fois à l’école se transforme en stylo. A partir de là, les enfants commencent à pouvoir s’amuser avec des mots en sachant qu’ils ne vont pas être disqualifiés. Le critère de l’enfant qui a réussi à aller au bout du programme d’assimilation du langage en maternelle, c’est l’invention de ses propres. Quand, par exemple, avec un rhinocéros et un hippopotame, il fait un rhinopotame et qu’il est capable de dessiner une espèce d’être hybride entre les deux.

C’est l’élément qui discrimine le plus les milieux sociaux, c’est la capacité de jouer avec la langue de faire des néologismes. La capacité, par exemple en primaire, de faire ce qu’on appelle des dictées à fautes. Vous donnez une dictée à des enfants avec aucune faute dedans. Pour avoir des points, l’enfant doit mettre des fautes dans le texte. Les enfants de milieux favorisés se plient à cet exercice sans problème alors que ceux issus de milieux défavorisés n’y arrive pas parce qu’ils ont cette idée que faire une faute, c’est se mettre en faute. Pour eux la langue est sacrée.

On ne fait de la recherche-action que si on fait en même temps de la formation. La recherche-action est un leurre car soit on fait de la recherche et on essaye de la vérifier en agissant ou l’inverse, on fait rarement les deux ensemble sauf quand on fait de la formation. C’est-à-dire, quand on fait en sorte que les autres, ceux avec qui vous allez travailler, aient les mêmes outils que vous. Sans cela, vous êtes toujours celui qui sait vers quoi il faut amener l’autre. Des recherches – action usurpatrices, j’en ai fait énormément. Je savais où je menais les gens et je savais comment les y mener. Les gens, à un moment ou à un autre, sont clairement manipulés dans un projet de recherche - action. On le sait. Sauf si ils sont suffisamment formés. A Charleroi, à Peruwelz et à Eterbeek, les enseignants ont été formés tout de suite à comprendre ce qu’était la coéducation. Ils savent où ils jouent. Ils savent quel est leur rôle dans ce travail et qu’ils sont sécurisés à l’intérieur. On leur dit : « Police des familles, pas possible ! Vous ne le faites pas ce n’est pas votre rôle. » Evidemment, on leur en parle et on leur explique ce qu’est la police des familles. C’est casser aussi tous les habitus de classe, c’est-à-dire, ce qui semble naturel à l’enseignant. Evidemment, c’est naturel de trouver qu’une maison complètement bordélique doit être rangée. Alors, je vais faire en sorte que les gens rangent leurs maisons. Mais l’habitus de classe des milieux défavoriser, c’est souvent de chasser le vide. Ce qui veut dire, accumuler des choses. Plus vous avez de choses et plus vous êtes riche et plus votre tendance naturelle sera le dépouillement. En milieu très favorisé, on va tout à fait accepter le fait d’avoir un intérieur complètement vide, tout blanc, avec juste un téléviseur et une toile (par exemple « Carré blanc sur fond blanc ». Pour les gens qui vivent en milieu défavorisé, un intérieur comme ça évoque le passage de l’huissier. Dans les milieux défavorisés, on a peur du vide, on garde tout et on ne jette rien. Si je ne suis pas sensible à ces habitus de classe, je fais ranger ces maisons, j’utilise une énergie énorme pour que les maisons soient rangées. Et puis je me rends compte qu’une fois que j’ai rangé, ils « dérangent » la maison et ils revivent avec ce qui n’est pas pour eux un élément de souffrance. Il une différence à faire entre une maman dépressive qui se laisse déborder par sa maison, qui souffre de ce désordre et quelqu’un dont l’habitus de classe est l’accumulation. Cette différence, c’est la souffrance.

Il y a un grand nombre de familles, vous les connaissez comme moi, où il fait un petit peu cracra ou même carrément dégoutant et où on vous sert une tasse de café avec des pellicules dedans. Si vous l’acceptez, vous avez accepté le rituel de cette famille. Ca fait partie effectivement, d’un certain nombre d’habitus de classe. Les manières de parler, les manières d’être, toutes ces façons qui font que naturellement on est comme on est. Dès que je heurte ces manières, je heurte l’autre dans ces mécanismes identitaires les plus profonds.

Quand je considère que quelqu’un est vulgaire, ou quand je considère que quelqu’un est snob, je fais simplement parler mes habitus de classe. Les snobs ne se trouvent absolument pas snobs. Ils trouvent juste qu’il y a énormément de gens vulgaires. Entre eux, ils trouvent leurs manières d’être tout à fait naturelles. On est tous comme ça. Il faut former d’avantage les travailleurs sociaux et les enseignants à cette notion qu’est l’habitus de classe qui comprend aussi cette idée d’institutions qui tutorisent la résilience.

Il s’agit de simplement permettre au gens de rester ce qu’ils sont. Il ne s’agit pas de leur dire qu’ils devraient être tous tels qu’on aimerait qu’ils soient. Il s’agit pour un travailleur social d’accompagner les gens dans leur projet de vie mais pas de faire des projets à leur place. On accompagne en permanence, on laisse être.

On a parlé de résilience mais ce mot et très ambigu. On s’est rendu compte qu’on était parfois plus une institution de résistance assistée. On laisse les gens rester eux-mêmes. La résilience telle que Boris Cyrulnik la définissait : « je suis un canard, je deviens un cygne ». C’est gênant parce qu’on est obligé de produire des néo développements et finir chez Mireille Dumas comme une grande vedette.

J’ai travaillé avec des structures d’accueil pendant des années et j’ai vu des tas de gens qui m’ont appris ce qu’était la résistance. C’est-à-dire des gens qui sont juste resté eux-mêmes. Ils ont des petites vies tout à fait ordinaires qu’ils tricotent maille après maille. Mais je n’ai pas encore mis en place un prix Nobel parce que ce n’est pas le but de la résilience si elle est envisagée comme un acte de résistance identitaire. Il est important de préciser aussi que la résilience, ça se propose, ça ne s’impose pas. On n’impose pas aux gens de devenir exactement ce qu’on veut qu’ils soient. Et c’est pourtant ce qu’on fait très souvent quand on met en place un réseau. On dit : « on va travailler tous ensemble et toi tu vas faire cette formation là parce que ça va te servir ». Ensuite on négocie les projets à la place des personnes.

Je pense qu’il vaut mieux accompagner les projets tels qu’ils sont mis en place et ce, y compris à l’école. C’est pour ça que la définition d’une scolarité réussie, ce n’est pas l’enfant qui a réussi le parcourt du combattant le plus vite possible mais c’est l’enfant qui a préservé son plaisir d’apprendre. C’est un critère qui effectivement modifie la perception. Ce qui nous intéresse, c’est plus de savoir s’il est encore content d’apprendre des choses. On repère ceux qui vont réussir de cette manière et ce y compris à l’université. Il suffit de voir dans les bibliothèques, ceux qui y sont et choisissent leurs bouquins en fonction de l’intérêt qu’il y porte et pas en fonction de sa taille. Ceux-là, on sait qu’ils font vraiment leurs études. D’autres poursuivent sans vraiment les rattraper les études de papa et maman et choisissent les bouquins les plus petits possibles. Le plaisir d’apprendre, le désir de connaitre n’est plus leur moteur. Ce constat remet en cause le fonctionnement des institutions belges que ce soit l’école, le CPAS,…

Le système d’orientation professionnelle, c’est génial quand il s’agit d’une orientation positive. Quand c’est une orientation en escalier parce qu’on a dégringolé, et que l’élève s’oriente par défaut, c’est calamiteux.

Dès que vous voyez un enfant partir en technique ou en professionnel et qu’il se dit : « c’est le rapport au savoir que je recherche. » vous pouvez être certain qu’il va préserver son plaisir d’apprendre.

Je pense qu’il ne faut pas avoir cette illusion d’envoyer tout le monde en rangs serrés à l’université. Ca n’a strictement aucun sens. Accompagner les projets à l’intérieur d’une communauté éducative, c’est aussi et d’abord, permettre à chaque projet d’émerger pour ce qu’il est pour pouvoir rentrer dans ce qu’on appelle et c’est la deuxième partie de mon exposé, la coéducation, éduquer ensemble. Il s’agit de se préoccuper du développement de l’enfant, de ces différents besoins. C’est comme ça qu’à télésambre, on n’a jamais eu de disputes entre parents et enseignants, jamais le moindre signe de tension. On se dit : « Tiens parlons ensemble de ce besoin de l’enfant. Echangeons sur la manière dont on le prend en charge. » Il y a évidemment des points de vue différents et c’est très bien ainsi. Il y en a dans les familles aussi entre papa et maman. On ne peut pas être toujours d’accord.

Dans les couples, il y a de plus en plus de mamans qui disent des choses et prévoient des sanctions et des papas qui disent des choses plus molles, ne supportent pas les sanctions mais parle beaucoup. Il n’y a pas de problème. Un problème se pose si la maman intervient dans le schéma du papa en disant : « t’es trop laxiste ! » ou que le papa intervient dans le schéma de la maman en disant : « tu punis trop ! ». Chacun peut avoir son schéma. L’enfant va vite percevoir qu’il a à faire à un schéma éducatif très riche dans lequel chacun respecte le schéma de l’autre. Si je veux sortir le soir, je vais demander à papa, ce sera plus facile de négocier sauf si celui-ci dit : «  Demande d’abord à ta mère parce que les règles, c’est elle qui les fixe.» Ce mode de fonctionnement est celui de beaucoup de couples.

On rencontre des difficultés dans les familles où est convaincu qu’il faut un consensus sur tout et qu’on doit toujours être d’accord. On pourrait voir ce genre de situation de la façon suivante : «  Papa est maman et ils sont toujours d’accord ». Il faut prendre conscience que nous sommes différents et que donc, nous avons des schémas différents. De plus en plus, les familles ont des histoires disjointes. On n’a plus de familles qui se construisent en arbre généalogique puisqu’on a des demi-frères, des quarts de frères,… ce sont des pins parasol (généalogique) et c’est très bien comme ça. Ce contexte va permettre aux enfants de mieux comprendre la définition de la fraternité qui n’est pas seulement quelque chose d’imposé mais aussi une relation qui se construit. La fraternité est aussi à géométrie variable. On remarque qu’on a des histoires éducatives très différentes et qu’on va devoir négocier ensemble. Quand on recompose une famille, il faut mettre les cartes sur la table. Les familles qui fonctionnent bien sont celles qui sont capables d’expliquer leur schéma éducatif. Celles qui fonctionnent à moitié sont celles qui essayent de faire un « truc » en commun. Certaines familles recomposées gardent aussi chacune leur schéma éducatif et l’enfant aura un double schéma éducatif explicitement déterminé. C’est très riche. C’est ça une communauté éducative. L’école fixe des règles, certaines familles fixent des normes. Les règles sont différentes et une fois qu’on passe la porte de la classe, on respecte les règles de la classe par exemple, il faut lever son doigt pour parler. La condition pour que ça fonctionne est que tout soit explicite. Ca fait des systèmes très riches dans les communautés éducatives à une condition et c’est la deuxième partie de l’exposé, c’est qu’on soit dans une logique de réseau.

J’ai entendu un mot qui me fait toujours un petit peu peur, et qui ne fait pas peur qu’à moi mais aussi à la région wallonne. C’est le mot coordination. La coordination demande beaucoup d’énergie à investir pour mettre des services ensemble. Les coordinations des CPAS ont une histoire, elles se sont transformées, depuis peu, en plans sociaux intégrés.

Quand ce travail débouche sur des réalisations concrètes comme c’est le cas ici à Huy, c’est très bien mais il y en a d’autres où on reste à se présenter les uns aux autres et à faire des tours de tables à en user la table. Et puis on fait des barbecues. Bref, on est parti pour le plaisir de l’entre soi. On est dans la présentation des services et on ne s’intéresse pas à l’idée de les mettre à un moment donné en structure partenariale.

Ici, vous avez passé ce cap en créant une structure qui va entériner des partenariats. Des manières de travailler ensemble sont privilégiées.

Le pas suivant, c’est le réseau qui est une méga structure dans laquelle on va définir des routines, des manières de faire ensemble. On travaille ici avec des notions telles que la transversalité et la mutualisation des ressources,…. Par exemple, travailler avec des sans abris, ne nécessitera pas d’avoir une maison d’hébergement par commune. Certaines communes peuvent en avoir et pas d’autres.

A Peruwelz, nous avons la chance d’avoir une structure d’hébergement du CPAS. Il faut évidemment mettre cette maison d’accueil à disposition d’un environnement suffisamment large et quand on y travail, on voit que les tensions y sont énormes. Quand vous travaillez bien, c’est-à-dire quand vous déterminez que l’article premier du fonctionnement est l’accueil inconditionnel. Au bout de quelques mois, vous avez tous les malheurs de la Wallonie qui se centrent à l’intérieur de votre structure. Le bourgmestre, qui voit son taux d’incivilités multiplié par quinze, car vous travaillez avec une population à très haut risque, n’est pas ravi de la situation. Vous installez aussi cette population à l’intérieur de votre réseau. La commune finit par ne plus être d’accord et par imposer de faire ces réseaux dans les grandes villes (Charleroi, Liège, Mons,…).

Si vous souhaitez créer un tel service, la communauté française, la région wallonne ou le fédéral, vont vous dire qu’ils n’ont pas d’argent à vous donner. Par contre si on fait un projet en disant que ce qui existe, on va le faire fonctionner correctement, là les pouvoir publiques vont vous écouter. Ils seront d’accord çà conditions d’avoir des procédures qui permettent de mesurer pas seulement l’efficacité mais aussi l’efficience de ce qu’on y fait. Il s’agit donc de montrer aux pouvoirs publics qu’avec les moyens qu’on vous donne, vous obtenez de meilleurs résultats et ce, en ne changeant pas les services mais les liens entre ceux-ci.

Et là nous sommes dans cette politique de réseau qui suppose que pour comprendre ce qu’est un réseau, il faut accepter de concevoir la « métaphore du circuit électrique ». Ou est le pouvoir dans un circuit électrique ? Il n’y en a pas. Vous allumez un interrupteur, ça circule et ça s’allume, une routine, c’est ça. Ca veut dire qu’il n’y a pas de possibilité de réseau s’il y a des guerres de pouvoir.

Ce n’est pas parce qu’une personne est le directeur d’une maison d’accueil pour sans abri qu’il fixe les normes d’hébergement. On fixe les normes d’hébergement à l’intérieur du réseau. Ce qui permet par la suite de vérifier quelles sont les routines qui sont prises en charge et celles qui ne le sont pas. C’est comme ça qu’on a découvert, par exemple, que beaucoup de sans abris étaient accompagnés de leur chien et que c’était un réel problème parce qu’ils ne voulaient pas être hébergés. Il y avait des tas de lits disponibles et des gens qui mourraient dehors. Il fallait évidemment associer la SPA à notre démarche, garantir à ces gens qu’ils allaient récupérer leur chien. Nous avons dû nous intéresser à l’ensemble de la communauté et stopper cette idée saugrenue que si un type veut rester dehors avec son chien, c’est qu’il n’a pas si froid que ça. On s’est rendu compte que dans ces conditions, les chiens vivaient et les hommes mourraient.

Ca a posé de vrais problèmes de réflexion en termes de réseau. Et maintenant, dans les réseaux de Charleroi et de sa région, vous avez systématiquement la SPA qui est associée au travail. Ca veut dire qu’on a des solutions d’hébergement pour le chien et parfois, dans le cas de certaines structures, avec le chien. Ce sont des manières de penser qui intègrent toute la communauté, on ne peut pas penser ça uniquement entre travailleurs sociaux biens pensants. J’ai vu les dégâts que ça engendrait notamment à cause des luttes de pouvoir.

Il faut aussi de nouvelles fonctions. Plus votre réseau va être riche, plus il a besoin de gestionnaires de réseau. Qui dit gestionnaires de réseau dit évidemment aucun pouvoir dans ce réseau (si vous gérez le circuit électrique, vous n’avez pas le pouvoir sur le circuit électrique). On vous appelle quand quelque chose ne va pas et vous allez voir où ça coince et ce qui fait que ça ne marche pas. C’est le gestionnaire de réseau qui réfléchit à ce qui fait que cette routine là, quand on prend en charge cette situation là bloque à un moment donné.

Exemple : la situation d’un sans abris toxicomane, dans laquelle il y a blocages. Nous sommes équipé pour travailler la situation de sans abris, par contre celles de toxicomane, ça bloque. Il faudra donc créer un service qui tient compte de cette toxicomanie soit en la traitant à part, soit en associant le réseau social et le réseau médical.

Un réseau fermé sur lui-même est un réseau qui finira par mourir parce que nous ne sommes pas que des êtres sociaux. Il y a aussi un substrat médical, éducatif,… derrière et plein d’autres choses. Donc les écoles doivent évidemment être attirées dans les réseaux.

On a donc cette idée du réseau qui va supposer des gestionnaires de réseau. Il y a une deuxième fonction essentielle dans les réseaux : les activateurs de réseaux. C’est une fonction actuellement méconnue, nous plaidons pour en mettre en place dans tous les espaces comme celui-ci. Le SAJ a effectivement ce rôle qui lui est implicitement donné. Il est sensé faire le point de manière transversale sur la manière dont s’organise l’aide à l’enfant. En principe, il devrait en avoir les moyens mais ce n’est pas toujours le cas, parce qu’on n’a pas identifié cette fonction d’activateur de réseau pour chaque situation. L’activateur de réseau, c’est la personne qui allume l’interrupteur. C’est celui qui dit : « Voilà comment on fait ! » C’est la personne qui fixe le premier rendez-vous aux personnes en difficulté.

Quand je veux une pizza le plus rapidement possible, je téléphone à un call center qui me renseignera sur le service qui me livrera cette pizza le plus rapidement possible. Il est évident que ce n’est pas cette personne qui va s’occuper de ce qu’il faut mettre sur ma pizza ni de la cuisson. Il devrait en être de même pour les activateurs de réseaux qui pour l’instant sont trop souvent impliqués dans les situations, dans lesquelles ils agissent. Effectivement, ils prennent en charge cette situation de manière complète et ils se retrouvent très vite surchargés car il s’occupent en plus de l’accompagnent,…

L’activateur de réseaux est une fonction nouvelle qui agit comme un phone call. Il s’agit d’une personne qui connait très bien le réseau de la prise en charge relative aux problèmes de toxicomanie, de maltraitance et des sans abris et qui les active. Les dispositifs d’urgence sociale fonctionnent sur ce modèle là.

Ce qui se produit quand on fait un réseau super structuré, comme on l’a fait dans les grandes villes, on constate que c’est ceux qui sont autour de ces villes qui commencent à trinquer. Parce que les gens poussent au contrôle et certains bénéficiaires pensent être plus tranquilles en tant que sans abris. Ils se déplacent donc dans toutes les petites communes périphériques à la grande ville. On se retrouve finalement avec des villes qui se dépeuplent et avec des personnes qui cherchent à sortir des mailles de l’aide sociale. Elles se retrouvent donc à l’extérieur, là où les moyens sont insuffisants. C’est de ce constat qu’est venue l’idée de mutualiser les ressources aussi dans ces espaces là pour qu’on puisse travailler ensemble et ce, y compris dans les petites communes. Les petites communes ont moins de moyens que les grandes mais ont les mêmes problèmes. On s’en rend de plus en plus compte, que les petites communes vont se mutualiser et créer un réseau toutes ensembles. Il y a là aussi un rôle très important d’activation de réseaux et de gestion de ce réseau à jouer.

Il s’agit donc de nouvelles fonctions qui sont liées à de nouvelles pratiques. Ce qu’on analyse cet après-midi, c’est la capacité qu’on aurait à mettre en place des pratiques comme celles-là, à l’intérieur d’espaces dans lesquels des travailleurs sociaux, des enseignants, et des personnes ayant ces différentes fonctions vont pouvoir mutualiser leurs ressources et renoncer à leur pouvoir parce que le réseau a un objectif commun.

A Huy, vous avez mis en place la structure et définis les objectifs communs, il est maintenant important d’institutionnaliser les changements qui se sont opérés. Si on ne procède pas de la sorte, ces changements vont durer le temps des individus et de leur mobilisation. L’institution, elle ne sert qu’à ça, à encadrer et à être là au-delà du temps de vie des personnes qui se coordonnent.

Soyez toujours attentifs quand vous appelez quelqu’un parce que cette personne est bien aimable et qu’on pense qu’elle nous me rendra bien un petit service, vous êtres complètement en dehors d’un réseau. En effet, dans un réseau, n’importe qui peut être changé par n’importe qui et les routines restent opérantes.

Débat :

Vous pouvez me poser des questions concrètes par écrit, notamment concernant la construction d’un réseau, comment on fait, comment on le met en place,… En effet, il ne suffit pas de décréter qu’il existe pour que ce soit le cas.

On a lancé ce qu’on appelle les cités de l’éducation, qui est un terme qu’on a lancé suite aux expériences d’Eterbeek, de Peruwelz et de Charleroi. On en a maintenant de plus en plus, il y a Frasnes, Leuze, 5 communes sur Bruxelles et d’autres pays (pour la plupart méditerranéens) travaillent également avec nous. Il s’agit pour la plupart de pays dans lesquels la culture familiale est importante.

On a pu constater que les pays nordiques ne nous suivent pas parce qu’ils ne sont pas du tout centrés autour de la famille là-bas.

Pour le moment, ces pays nous bassinent très fort avec l’enquête PISA qu’ils ont gagné. Depuis, ils font des leçons de pédagogie à tout le monde. Mais ça ne va pas si bien que ça chez eux. Ils ont le plus grand taux de suicide d’Europe, surtout en Norvège. Leur politique familiale est désastreuse.

Il faut savoir que c’est un pays où on s’emmerde, il fait noir très tôt et il n’y a pas grand-chose à faire. Donc les enfants y étudient plus que par chez nous et plus que les petits italiens qui ont l’avantage d’être toujours dehors et de jouer comme des fous au football par exemple. Par contre les résultats en football sont meilleurs en Italie. Car les petits enfants jouent très tôt et jouent beaucoup et ils jouent ensemble. En Norvège, on joue peu et on est seul.

Donc, vous pouvez aussi améliorer le résultat des enfants en supprimant un ensemble de vie communautaire. On constate que les pays communautaires ont tendance à diluer l’école et son importance à l’intérieur de plein d’autres choses. Et à adopter un raisonnement type : « Il n’y a pas que l’école dans la vie ». Dès qu’on est dans la communauté éducative, on se rend compte qu’effectivement il y a plein de choses et qu’un enfant peut préserver l’estime qu’il a de lui-même en étant nul à l’école parce qu’il est bon en sport et que ça se sait dans sa communauté. C’est la meilleure prévention qui existe contre le déficit d’estime de soi et contre les suicides. Attention que cette communauté éducative oblige à changer un certain nombre de critères qu’on a intégrer parfois un peu trop implicitement comme la réussite scolaire pour tout le monde. Et la communauté éducative, c’est cette idée que tout le monde depuis le boulanger jusqu’à l’enseignant participe à l’éducation de l’enfant. Ce sont donc les cités qui deviennent éducatives.

C’est ce qu’on est en train de réaliser. On a commencé par les maternelles et puis on s’est rendu compte qu’il y avait une demande pour l’élargir le processus à l’ensemble des classes. Pour ce faire, il faut trois choses essentielles : Il faut qu’il y ait une intention politique, un suivi scientifique et une mobilisation des acteurs sociaux.

S’il n’y a que la mobilisation des acteurs sociaux, on s’essouffle très vite. S’il n’y a que le suivi scientifique, ça donne des recherches-actions qui pourrissent sur des armoires.

Si vous n’avez pas les trois, ça ne marchera pas. On doit obligatoirement avoir ce triangle dans lequel tout est possible et au milieu de ce triangle, il y a l’éducabilité.

La communauté éducative ne peut laisser personne sur le chemin, elle s’adresse à l’ensemble de la population.

Quand j’ai commencé à travailler à Charleroi, j’entendais des choses énormes telles que : «  Les enfants turcs et italiens apprennent moins bien que les autres,… » Tout ça pour des questions de langue parlée. Il est donc important de former les enseignants pour qu’ils ne s’arrêtent pas à un simple problème de prononciation. On apprend dans certaines classes des comptines en turc et en italien à tous les enfants afin de susciter une ouverture à tous les aspects de ces communautés. Chanter des comptines en italien pour un enfant de 4 ans, c’est tout à fait accessible et ça ouvre simplement à des sonorités nouvelles. Et de plus, les communautés turques et italiennes se sentent reconnues.

Il y a aussi de nouvelles fonctions au niveau des parents, il s’agit des parents « passeurs » qui traduisent le journal de classe dans leur langue. Les italiens n’en finissent pas de répondre, si on écrit un mot dans leur langue dans le journal de classe. C’est en procédant de la sorte que la communication s’améliore. Une communauté éducative, c’est aussi concevoir que cette communauté est une communauté d’appartenance avec des personnes qui ont des origines culturelles et ethniques qui peuvent être très différentes.

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